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Florian Dacheux

Por Florian Dacheux

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Photo : Florian Dacheux

Réputée pour couver les plus grands talents du football mondial avec celle de Sao Paulo, la région parisienne et ses 12 millions d’habitants représente une véritable pépinière. Des city stades aux terrains d’entraînement, du bas des tours aux premiers tests en sélection, plongée de l’autre côté du périphérique au cœur d’un jardin multiculturel où le ballon rond est roi.

Il se nomme Kingsley, en hommage à l’histoire d’un clandestin africain qui avait pris un bateau pour tenter de rejoindre l’Europe et dont l’histoire avait ému son père Christian Coman. Un soir d’août 2020, à Lisbonne, il prive d’un coup de tête rageur le PSG de sa première coupe aux grandes oreilles. Lui le titi parisien, né en 1996 dans la capitale, qui a fait toutes ses classes au Camp des Loges, le centre d’entraînement du club qatari situé à Saint-Germain-en-Laye dans les Yvelines, l’Ouest parisien. Ses premiers pas de footballeur, le jeune Kingsley les effectue pourtant côté Est, à l’US Sénart Moissy, l’école de foot de Moissy-Cramayel en Seine-et-Marne dont il est aujourd’hui le parrain. A lui tout seul, le parcours de Kingsley Coman résume parfaitement la trajectoire que peut prendre un jeune talent de banlieue parisienne. Contrairement aux champions d’Europe 1984 dont seul Thierry Tusseau, originaire de Noisy-le-Grand, fait partie de la bande à Platini, ou encore aux Bleus de 1998 composés des trois Franciliens Lilian Thuram (Fontainebleau), Patrick Vieira (Trappes) et Thierry Henry (Les Ulis), le titre de champion du Monde en 2018 a révélé une statistique sans appel. Huit joueurs (Kylian Mbappé, Paul Pogba, Blaise Matuidi, Presnel Kimpembe, N’Golo Kanté, Benjamin Mendy, Steven Nzonzi, Alphonse Areola) étaient issus d'Île-de-France, soit un peu plus d'un tiers de la sélection du basque Deschamps. Mieux, lors des cinq dernières éditions de la Coupe du monde, la métropole parisienne a fourni à elle seule soixante joueurs, dont seize pour l’épisode russe. Sans parler de leur forte proportion dès les équipes de France de jeunes et de leur surreprésentation dans les cinq plus grands championnats européens. En 2018, pas moins de cent un joueurs franciliens jouaient en Ligue 1. C’est dire.

Le bitume sinon rien

En vérité, le savoir-faire français en matière de formation ne serait rien sans l'apprentissage de l’enfance et de la rue. Ces parties de foot sur le bitume au pied des tours où chacun doit faire preuve d’abnégation et d’imagination pour s’imposer, au contrôle d’un ballon à peine gonflé ou d’une balle maison faite de papiers enroulés de scotch. « La meilleure école reste de faire un cinq-cinq avec des copains, affirme Philippe Bretaud, ancien formateur à l’INF aujourd’hui à la tête du Pôle France féminin à l’INSEP. Les premiers apprentissages doivent se faire très tôt et ce sont les écoles de foot dans les clubs qui réalisent cette première étape, comme travailler sur le pied faible ou corriger certains défauts. Mais avant l’école de foot, c’est toujours le foot pratiqué entre copains qui fait la différence. Contrairement au judo où il te faut une salle ou le tennis où il te faut un filet, avec le foot tu n’as besoin que d’un ballon et d’un espace. C’est le gros avantage de ce sport et c’est pourquoi il est le plus pratiqué au monde. En s’entraînant deux fois, en club et dans la rue, leur premier entraîneur, ce sont eux-mêmes. » De Mantes-la-Jolie à Torcy, sur un city ou entre deux chênes, on y voit les mêmes gestes, les mêmes embrouilles, les mêmes matchs infinis jusqu’à la tombée de la nuit. Un rapport précoce au ballon rond où les petits se frottent aux grands sans hésitation, bien souvent dans des petits espaces aussi réduits qu’une cage d’escalier. « L’Île-de-France compte énormément de quartiers populaires très peuplés et de nombreux terrains de tout style, raconte Sambou Tati, éducateur et président de l’US Roissy-en-Brie qui a vu éclore Paul Pogba. Dès qu’un enfant du quartier sort de l’école ou de la maison, son premier regard, son premier hobby, ce sera d’aller jouer au foot. Cela favorise leur évolution balle au pied. » Au lieu de traîner à ne rien faire, le football est vu comme une échappatoire. Une ode à la liberté au cœur des espaces publics où chacun façonne ses gestes techniques favoris. « Le foot rime avec motricité, analyse à son tour Mamadou Diouf, le directeur technique du club seine-et-marnais. Mais la motricité, on le fait dehors, en bas de la cité. Les jeunes sautent, tombent et acquièrent très tôt ces choses-là. Quand on voit que tous ces nouveaux centres privés dédiés au five sont bondés, on sait pourquoi. Car tu vas pouvoir toucher plus le ballon. C’est la base du foot et si on fait du foot à cinq à bas âge, là encore, on sait pourquoi. »

Un métissage culturel incroyable

Au cœur de ce tissu extraordinaire de clubs amateurs parmi les plus denses du monde, dont certains comme l’AC Boulogne Billancourt plafonnent à 1 000 licenciés, c’est ainsi qu’on s’initie, comme à l’autre bout du globe dans les favelas de Porte Alegre où un certain Ronaldo de Assis Moreira dit Ronaldinho multipliait les petits ponts. D’un passement de jambe à une feinte de frappe, ils sont des milliers à faire le show. Ça dribble, ça chambre, ça marque. Sans avoir peur d’arriver rincés à l’entraînement, le vrai, celui de leur club situé bien souvent à deux pas du quartier. Du bon vieux stabilisé au synthétique dernière génération, plus de 300 000 licenciés issus de toutes les origines s’affrontent chaque week-end. Un métissage culturel incroyable, né de l’histoire de France et son passé colonial, qui représente aujourd’hui un réservoir multicolore au potentiel infini. « Le foot n’est qu’une représentation sociale de l’histoire de la France, affine Philippe Bretaud. Le fait que l’Île-de-France soit pourvoyeuse en bons joueurs est purement lié à la démographie et à la densité de population. Cela ne signifie pas qu’un cinq-cinq à la campagne n’est pas aussi bon mais en banlieue il y a davantage de proximité et de mixité d’âges. Et la contrainte te pousse plus haut. Socialement, il y a beaucoup de jeunes défavorisés qui ne vont pas sur d’autres sports. Cela accentue le fait qu’on ait beaucoup de joueurs dans les clubs et que le niveau moyen est plus élevé qu’ailleurs. » Au tour de Jamel Sandjak, le président de la Ligue de Paris Île-de-France d’ajouter : « Notre région, par sa population diverse, répond de manière naturelle au fait que le football soit un sport populaire. C’est pour ça que le football est aussi important pour la vie sociale, comme on peut le voir au Brésil ou en Turquie. Et c’est pourquoi nos championnats de ligue sont dits plus relevés que d’autres. Tous les observateurs le disent. » Un petit quelque chose en plus sur lequel les éducateurs s’appuient pour les faire gagner en simplicité et efficacité. À l’instar du travail effectué par l’ex champion du Monde 1998 Bernard Diomède, qui a créé sa propre académie autour de l’éducation par le sport à Issy-les-Moulineaux, Mamadou Diouf a su faire de l’US Roissy-en-Brie une véritable pouponnière propice à l’épanouissement. Situé à deux pas de la gare RER, le club dispose de trois terrains d’entraînement et d’une quarantaine d’éducateurs. « Si tu n’as pas assez d’éducateurs, tu fais de la garderie, insiste celui qui est également membre de la commission technique de Seine-et-Marne et de la Ligue de Paris. Avec moi, ils n’ont pas le choix de passer leurs diplômes. Nous avons des joueurs blancs, noirs, métisses, arabes, asiatiques. Tout est là. Mais il n’y a pas que le foot. On leur inculque le respect et certaines valeurs de la vie comme savoir dire bonjour, être à l’écoute, ou ne pas rendre un coup. Nous sommes très attachés au suivi scolaire et sommes en lien avec l’ensemble des écoles de la ville. J’en ai formé beaucoup et je peux vous dire qu’ils ont besoin de repères pour progresser. »

Entre ascenseur social et beaux discours

Le foot comme école de la vie ? Vraiment ? Encore faut-il savoir gérer les sirènes de l’argent. Ces banlieusards, pour la plupart rapidement au-dessus du lot, sont bien conscients que réussir dans le football est un moyen de monter rapidement dans l’échelle sociale. A condition de percer, au cœur de cet immense laboratoire où les recruteurs du monde entier se bousculent pour dénicher la pépite promise à un gros contrat. Les clubs professionnels déploient en effet des réseaux de détection dans toute la région. « Cela vient de Nantes et même de Middlesbrough, parfois même pour des U6, témoigne à nouveau Mamadou Diouf. C’est très difficile à gérer car ils commencent à vendre du rêve aux gamins et ce n’est pas bien. Certains parents sont dans un rêve alors qu’à l’arrivée il y a peu d’élus. » Plus au Nord, l’AS Eragny, dans le Val d’Oise, n’est pas le club le plus connu de la grande couronne mais la formidable ascension de Presnel Kimpembe a mis en lumière son école de foot. Fils d’un père chauffeur livreur qui multipliait les allers-retours pour conduire son fils à l’entraînement, Presnel, qui a connu la dalle de la cité des Dix Arpents, s’est endurci très tôt. En 2005, il a 10 ans lorsqu’il est repéré par le PSG. Là-bas, il devient pote avec Kingsley Coman avant de connaître un parcours semé d’embûches en raison de son physique jugé trop frêle. « Le foot vient des quartiers populaires et Presnel en faisait partie, atteste Michel De Sousa, responsable du foot animation à Eragny. Il ne lâchait rien. A l’époque, le PSG l’a pris avec Fodé Ballo-Touré aujourd’hui à Monaco. Ils étaient du même quartier et partaient ensemble au Camp des Loges. » Entre un quotidien modeste et des responsabilités au sein même du cocon familial, ces joueurs à part grandissent d’une certaine manière plus vite que les autres. Comme Kimpembe, Paul Pogba, à Roissy-en-Brie, a dû lui aussi cravacher. Convoité très tôt par les plus grands clubs dont Manchester United où il finit par signer dès l’âge de 16 ans après deux années au Havre, la Pioche a fait son trou dès les premiers tournois inter quartiers à La Renardière au côté de Mathias et Florentin, ses deux grands frères. « Paul était un mort de faim, se souvient Sambou Tati. C’est un modèle pour nos jeunes. Il a toujours bossé et ce n’est pas un hasard si il en est là aujourd’hui. Il ne loupait pas un entraînement. »

Du rêve à la réalité

Alors le samedi, pour le match que tous attendent depuis le lundi, on se retrouve sur le parking. Les parents covoitureurs sont là. On s’entasse dans les véhicules pour affronter le rival. Un morceau de rap et c’est parti. Bienvenue en Seine-Saint-Denis, ce département si célèbre pour ses contrastes et ses paradoxes. Un authentique puits de lumière où près de trois habitants sur dix vivent au-dessous du seuil de pauvreté. À Bondy, la ville que l’on surnomme « de tous les possibles » depuis les exploits du jeune Kylian Mbappé, les terrains de sport où se mêlent anneaux de basket et petites cages de foot courent les rues. Des aires de jeux pleines de mômes qui renvoient directement aux playground de Chicago ou Atlanta réputés pour couver de la même manière les futurs cracks du basket mondial. Kylian, lui, habitait non loin de Léo Lagrange, un stade qui a vu passer Joris Gnagnon (FC Séville), Jonathan Ikoné (Lille) ou encore William Saliba (Arsenal). Alors que Jirès Kembo-Ekoko, son grand frère adoptif, a quitté tôt la France et le Stade Rennais pour les Emirats Arabes Unis, Kylian a su garder la tête froide pour ne pas répondre naïvement à l’appât du gain. « La réalité est que quand j’étais petit, j’avais l’habitude de voir certains des gars les plus durs de mon quartier porter les courses de ma grand-mère, raconte la pépite dans une lettre publiée en février dernier sur le site The Player’s Tribune et adressée aux enfants des banlieues. À Bondy, on apprend des valeurs qui vont au-delà du football. Tu apprends à traiter tous les gens de la même façon, parce qu’on est tous dans le même bateau. Nous sommes la France. Vous êtes la France. Nous sommes les rêveurs fous. Et, heureusement pour nous, rêver ne coûte pas grand-chose. » Un rêve francilien que Ludovic Blas, son ex-coéquipier sur le front de l’attaque de l’équipe de France U19 championne d’Europe en 2016, a réalisé du côté de Guingamp après avoir évolué sous les couleurs de Rambouillet et Montrouge. « Quand je suis arrivé là-bas pour la première fois, j’avoue que j’ai eu un peu peur, se remémore l’actuel numéro 10 du FC Nantes. Même Châtillon, ma ville, c’est plus grand. Mais je m’y suis fait. Il y avait plein de gars de la région parisienne, je connaissais la moitié de l’équipe. »

Titis parisiens globe-trotters

Depuis l’arrêt Bosman, la fameuse loi qui a permis aux joueurs de circuler librement en Europe dès 1995, l’expatriation des joueurs franciliens n’a finalement eu de cesse de s’amplifier. Issu du club de Trappes dans les Yvelines, Nicolas Anelka, transféré à l’âge de 18 ans du PSG à Arsenal en 1997, a fait figure de précurseur. Comme Thierry Henry, Nicolas a débarqué dès l’âge de 13 ans à l’Institut National du Football, ce temple de la préformation à la française situé au fin fond de la forêt de Rambouillet au sud de Paris. Là-bas, à Clairefontaine, il y découvre des formateurs visionnaires, réputés pour leur rigueur et leur manière d’être attentif aux moindres détails dans l’évolution de chacun des joueurs. « Au concours d’entrée, à peu près 23 joueurs sont pris sur 2 300, c’est-à-dire un centième, précise Philippe Bretaud qui a oeuvré à l’INF de 2010 à juin 2020. On recherche avant tout des joueurs qui font des choses que les autres ne savent pas faire. C’était le cas de Kylian Mbappé qui sur deux ou trois mouvements montraient des qualités de percussion, de dribbles et de vitesse avec le ballon. Ou bien Christopher Nkunku qui, lui, trouvait des ouvertures de passes obliques excellentes. » De Blaise Matuidi à Jérôme Rothen en passant par Hatem Ben Arfa ou encore Louis Saha, tous sont passés par ce véritable carrefour technique reconnu dans le monde entier. Dans l’ombre du château des Bleus, les jeunes pousses issues des districts d’Île-de-France y répètent inlassablement leurs gammes. Jouer juste, à une ou deux touches de balle, et ce toujours en mouvement, avec, si possible, une passe à la sortie du dribble. Aujourd’hui dispersés aux quatre coins de la France, nombreux sont ceux qui pourtant s’arrêtent aux portes de l’élite, atterrissant en Ligue 2 voire en National. D’autres, recalés des centres de formation malgré leur bon niveau, n’ont pas peur de faire leurs valises pour gagner leur vie dans des ligues de seconde zone, de la Série C italienne à la Division 2 belge. Cette force de l’Île-de-France plurielle, nombre d’élus s’y penchent, à commencer par Karim Bouamrane, le nouveau maire de Saint-Ouen, qui a pour volonté de mettre la barre haute pour les jeunes des quartiers populaires. Entre développement de l’esprit entrepreneurial et excellence dans le sport, l’enfant audonien compte notamment sur la rénovation de l’enceinte mythique du Stade Bauer dans le cadre de l’installation du village des athlètes des Jeux Olympiques de Paris 2024. En ligne de mire ? La renaissance du Red Star, club emblématique de la banlieue Nord. De son côté, le Munichois Kingsley Coman n’a pas oublié Moissy-Cramayel et participe régulièrement à des opérations solidaires en organisant des donations de kits scolaires pour les élèves entrant au collège. Comme pour rappeler aux plus jeunes que l’école reste la priorité et qu’une carrière de joueur professionnel ne tient qu’à un fil.

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Florian Dacheux
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Trentenaire basé en banlieue parisienne, je navigue dans le monde des médias depuis 2005. Des bases du métier appris en presse quotidienne régionale à Avignon, j'ai connu une expérience de correspondant à Barcelone, la pige depuis Bangui ou encore l’édition numérique dans diverses rédactions parisiennes. Freelance depuis 2015 en tant que reporter et rédacteur pour la presse mag et digitale, je réalise différents types de sujets de société. J'anime également des ateliers d’écriture et pratique la photographie. Amateur de foot, de wine & cheese et de textes a cappella.