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|| La révolution et après ? S4

Virage à (l’extrême) droite pour la jeunesse française

Florian Dacheux

Por Florian Dacheux

Photo de Florian Dacheux

Ils ont la vingtaine, et se disent conservateurs et patriotes. De l’immigration zéro en passant par l’assimilation et la sécurité, ils se sentent orphelins d’une France qui aurait abandonné ses traditions. Rencontre avec cette jeunesse qui incarne, chaque jour un peu plus, les liens de plus en plus étroits entre la droite et l’extrême droite.

Comme chaque matin, place Notre-Dame à Versailles, c’est l’effervescence aux halles du marché éponyme. En ce jeudi 2 décembre 2021, cet antre de la gastronomie française, construit sous Louis XIII, reçoit ses fidèles clients au portefeuille bien garni qui dissèquent les étals avant de passer commande pour leurs menus de Noël. À deux pas, m’attends Wandrille dans un bistrot situé à la sortie du passage des antiquaires. Il est 10 heures. Alors qu’un homme à la peau noire nettoie les vitres, nous nous installons à l’étage. À 20 ans, Wandrille est étudiant en droit à Paris. Originaire de la cité royale où il réside toujours, cet ancien bachelier du lycée napoléonien Hoche coordonne depuis plusieurs mois la section Yvelines de Génération Z. Ici, cette appellation ne désigne pas les personnes nées entre 1997 et 2010 mais le mouvement de jeunesse fondé pour soutenir la candidature du polémiste d’extrême droite Éric Zemmour en vue des élections présidentielles en avril prochain. « J’ai commencé à m’intéresser à la politique lors des présidentielles 2017 puis en 2019 lors de la convention de la droite où le discours de Robert Ménard (ndlr : maire d’extrême droite de Béziers) m’avait frappé, confie d’emblée le jeune homme. Il avait dit que nous n’avions plus le droit de perdre et qu’il y avait un réel besoin d’engagement chez les jeunes. Puis j’ai fleuri (sic) cette idée de l’union des droites et continué de m’intéresser à la politique en allant aux Éveilleurs d’Espérance. » 

« Nous serons bientôt sous-représentés »

EVE, pour les intimes, est en vérité une association versaillaise, proche de l’ex-députée d’extrême droite Marion Maréchal, révélée au grand jour depuis son opposition au mariage pour tous. « Je me définis comme conservateur, pour le bien commun, poursuit Wandrille. Être conservateur, ce n’est pas être passéiste. C’est avoir conscience de son héritage pour le transmettre à ses enfants. » Très vite, notre entretien vire au réquisitoire anti-immigration et à l’éloge de l’assimilation, avec ce défi appelé « grand remplacement » auquel ferait face selon lui le pays. « Il suffit de regarder la part d’étrangers dans les prisons françaises, se justifie-t-il. Il faut régler les problèmes d’immigration et de sécurité. Il faut également un ministère de l’instruction publique. Le wokisme, je ne veux pas que l’on transmette ça à mes enfants. Nous avons gagné de grandes batailles, réalisé de grandes avancées. Je ne pense pas qu’il faille s’excuser de notre passé en permanence. Nous devons être fiers d’être Français. Mes ancêtres sont des Gaulois. Éric Zemmour, qui est pourtant d’origine berbère, le dit lui-même. Il s’est assimilé. Quand on prend le bus, il y a plus de personnes issues de l’immigration. C’est la vérité. Le grand remplacement existe. C’est un phénomène démographique. C’est un fait. Nous serons bientôt sous-représentés. C’est pourquoi nous devons recevoir, aimer, protéger, transmettre. Pour la survie de la civilisation, l’amour de la patrie et la fierté d’être Français. » La survie de la civilisation ? C’est-à-dire… Il renchérit : « Le prénom Jean, en Europe, c’est soluble. Il y a John en anglais, Juan en espagnol, Johann en allemand. Contrairement au prénom Mohammed qui n’est pas soluble dans l’Europe judéo-chrétienne. La France, ce sont de beaux paysages, et de beaux clochers que l’on n’entend plus dans les villages. » Nous en restons là.

« Un pays n’est pas une mosaïque de communautés »

Trois jours plus tard, direction le Parc des Expositions de Villepinte pour tenter de comprendre ce qui anime d’autres minots venus assister au meeting de leur mentor. Ici même. Comme un symbole. En Seine-Saint-Denis, le département le plus multiculturel de France. Portant une veste à l’effigie de Napoléon Bonaparte, l’homme d’affaires Jean-Pierre Chalançon est l’un des premiers à pénétrer dans la fosse. Non loin, des militants de Génération Z Auvergne Rhône-Alpes s’activent pour orienter les VIP. Étudiant en école de commerce à Grenoble, leur référent Timothée, 23 ans, s’ouvre au dialogue : « Avant j’étais au RN (ndlr : il a notamment milité pour Marion Maréchal dans le Vaucluse), et on savait à chaque fois qu’on était au second tour mais sans aucune chance de gagner la présidentielle. Avec Éric Zemmour, en faisant la fusion entre l’électorat LR, l’électorat RN et les abstentionnistes, on sait qu’on peut gagner, redevenir un grand pays en étant fier d’être Français. Car si on continue comme ça, on va droit dans le mur avec tous ces territoires perdus de la République où la police et les pompiers ne peuvent plus entrer. Nous, ce que l’on veut, c’est un pays uni sous la même culture avec les mêmes idées. Un pays n’est pas une mosaïque de communautés. » Tout sourire, se targuant même d’avoir vécu quinze ans d’expatriation dans six pays d’Afrique, il poursuit dans la même idée : « Ce qui nous anime, c’est le modèle de l’assimilation. Le fait que l’on ne sache même plus ce qu’est notre culture française, c’est grave. On le voit ce rouleau compresseur, l’idéologie woke, qui broie tout sur son passage. Le fait de promouvoir trop les minorités n’est pas une bonne chose. On peut tout à fait être musulman et être français. Tant qu’un musulman pratique sa religion chez lui, sans prosélytisme, il n’y a pas de soucis. Il faut également que l’école redevienne l’école, en revenant à la méritocratie. »  À l’intérieur, ils sont des centaines d’autres jeunes à agiter de petits drapeaux bleu-blanc-rouge au milieu de 15 000 partisans survoltés qui s’apprêtent à célébrer la création du parti « La Reconquête », un nom qui renvoie explicitement à la « Reconquista » espagnole, cette période qui, du VIIIe au XVe siècle, marqua l’expulsion de la péninsule ibérique des juifs et des musulmans. 

« Qu’ils s’assimilent bien, et tout se passera bien »

Il y a trente ans déjà, en juin 1991, l’expression raciste « le bruit et l’odeur », prononcée à l’encontre des immigrés par un certain Jacques Chirac, alors maire RPR de Paris, commençait à chauffer à blanc la jeunesse de droite. En 2002, Jean-Marie Le Pen se retrouvait au second tour de la présidentielle face à ce même Chirac, avant que Sarkozy reprenne le flambeau de la surenchère en annonçant sa volonté en juin 2005 de « nettoyer au Kärcher » la cité des 4000 de La Courneuve. Dix-sept ans plus tard, début janvier dernier, c’est au tour de la candidate LR Valérie Pécresse d’annoncer souhaiter ressortir le leader des solutions de nettoyage de la cave pour « nettoyer les quartiers », dit-elle. Entre-temps, bon nombre d’ados ont été soigneusement bercés par Zemmour, à coup de chroniques provocatrices chaque samedi soir à partir de 2006 et ce pendant cinq saisons sur ce talk-show nommé « On n’est pas couché ». Des nocturnes achevées en février 2011 suite à la condamnation du polémiste pour provocation à la haine raciale, qui ne l'empêchera pas de continuer à propager son discours sur d’autres ondes telles que CNews. Des années au bout desquelles le Rassemblement National, stable et identifiable, représente finalement ce parti que les jeunes ont vu s’installer d’élection en élection. Marine Le Pen et sa rhétorique, ils l’ont en tête. De là à parler d’immense élan pour ces néoconservateurs du déni ? Deux récentes enquêtes Ipsos-Ifop, et publiées par Le Monde, indiquent leur poids, Le Pen frôlant les 30 % auprès des 25-34 ans. Près de 12 % des 18-30 ans en France voteraient pour Zemmour au premier tour de l'élection présidentielle, troisième derrière Le Pen (20 %) et Macron (25 %). La plus grande tendance restant l’abstention. « Ce qui nous réunit, ce sont les questions autour de la sécurité, du pouvoir d’achat, de l’économie, de l’identité française, détaillent à leur tour Adrien et Rodrigue, deux Franciliens postés au stand merchandising. La culture française, c’est le pot-au-feu et le bon vin, pas les kebabs. C’est aussi tout notre patrimoine architectural, la mode, la littérature, l’art. Cela devrait être une norme. Au lieu de cela, nous sommes face à un processus de perte d’identité. » Un concept épousé par Jean qui multiplie ces derniers temps les allers-retours entre la capitale et son fief rochelais. « Les gens n’ont plus l’amour de la France, clame-t-il. Nous avons une belle histoire. Il faut simplement redévelopper la sécurité et réguler l’immigration. Qu’ils s’assimilent bien, et tout se passera bien. » Assisterait-on à une bataille de civilisation sur le point de devenir virale ?

« L’union des droites devient une réalité » 

Ils ont été en tout cas les premiers sur les réseaux sociaux à demander au polémiste de déclarer sa candidature. Et sur Twitter, ils ne se cachent plus. « L’union des droites devient une réalité, tweetait début janvier Antoine, un militant basé en Côte d’Or. Éric Zemmour est le seul à pouvoir rassembler. Les Français votent depuis vingt ans pour un programme de droite jamais appliqué. On va le mettre en place. Qu'on le veuille ou non, la France est un pays de droite. » Il y a encore quelques semaines, à Cannes, Gilbert Collard quittait le navire RN pour rallier Zemmour. Marion Maréchal hésite même à l’imiter. Début février, c’était au tour du syndicat Alliance Police de recevoir dans un ciné-club du 17e arrondissement de Paris les candidats à la présidentielle pour un grand oral. Seuls Valérie Pécresse, Gérald Darmanin (pour Macron), Éric Zemmour et Marine Le Pen étaient conviés. « Il faut dire ce que l’on pense, répondent sans filtre Marguerite et Hortense, deux Parisiennes. On voit une hausse d’insécurité depuis qu’on accueille massivement des immigrés. La moitié ne fait pas l’effort de s’intégrer. Ils n’ont pas la même culture que nous, surtout avec l’islam. Il faut restaurer l’identité française. Les théories du genre et les idéologies décoloniales polluent les écoles. Cela n’a rien à faire dans les programmes scolaires. » Attiré par le verbe, Karim corrobore : « Il faut adopter la culture du pays dans lequel on vit et ne pas déranger. Pour ma part, je suis d’origine algérienne par mes parents et j’aurais préféré porter un prénom français pour pleinement m’intégrer. » « La réponse est démographique et ce sont les femmes qui ont la clé, vient ajouter un sympathisant qui tendait l’oreille. Je n’ai pas envie de vivre dans une culture musulmane. Le jour où il y aura 40 % de musulmans en France, les idées et les valeurs ne seront plus les mêmes. C’est pourquoi la francisation des prénoms est importante. » Un peu plus loin, posté débout au milieu d’une rangée de sièges en plastique bleu, un jeune homme, béret en laine sur la tête, hurle ses références identitaires. « L’humanisme à outrance vend la France à l’étranger, c’est tout ce que j’ai à dire, se justifie-t-il. Il n’y a aucun patriotisme chez eux. Aimer la France, ce n’est pas juste aimer la déclaration des droits de l’homme de 1789. C’est aimer Louis XVI, Saint-Louis, Voltaire, Rousseau. » Observer et rendre compte de la porosité des discours met ainsi en lumière ces liens de plus en plus étroits en la droite conservatrice et son pendant extrême. Wandrille, le Versaillais, qui me parlait d’« apothéose » et du « début d’une nouvelle aventure » à la sortie du meeting fondateur de Villepinte où j’ai fini par le croiser, a depuis décidé de ne pas renouveler son adhésion au parti Les Républicains. « Je fais partie d’une génération qui préfère la France à la République », précise celui qui a été promu community manager d’un mouvement qui revendique 10 000 militants. « Les conservateurs sont bien là et la ferveur populaire est énorme, martèle Wandrille. On va continuer à aller chercher d’autres Français. Je suis déçu du peu de courage des Républicains. On voulait le Kärcher, on a eu Kouchner. Puis Hollande et Macron n’ont fait que fracturer le pays. Le Pen est incapable de gagner. Le seul, c’est Zemmour, car il garde une ligne claire pour tous les jeunes qui se sentent perdus et qui, grâce à lui, se réintéressent à la politique. J’appelle tous les jeunes de droite à nous rejoindre car il est grand temps de sauver la France. » Quelle France ?