Reportage

Cameroun : La boxe pour fuir la misère et changer de vie 

35h et plus si affinités
Le Cameroun a produit ces dernières décennies des champions mondiaux de boxe et de Mix Martial Art (MMA). Tous ont été formés dans le dans le quartier populaire de New-Bell (Douala). Une nouvelle génération de jeunes boxeurs rêve d’imiter les champions mondiaux passés par la salle de boxe devenue vétuste. L’objectif principal : s’expatrier au moyen de leur talent pour mieux gagner leur vie.

Des échauffements et des accélérations. Le petit groupe de 9 athlètes parmi lesquels une fille vient d’entamer une séance d’entraînement. Regroupés en rangs, puis en cercle, les sportifs se secouent au rythme des mouvements et de la cadence que commande l’un d’eux installé selon les situations devant ou au milieu d’eux. Ce sont des boxeurs membres d’un club logé au Centre de Jeunesse et d’Animation (CJA) de New-Bell, à Douala, une des principales villes du Cameroun. En ce deuxième lundi du mois de Janvier, ils reprennent de l’activité après une trêve imposée par les fêtes de fin d’année. En cet après-midi de rentrée, ils retrouvent un cadre qui comprend outre des structures de formation pour jeunes, leur antre, la déjà vétuste salle de boxe. L’infrastructure offerte par un ancien responsable de la Fédération est presque envahie par les herbes.

Les personnes présentes doivent endurer les mauvaises odeurs qui émanent des alentours de cet espace globalement mal entretenu. Coach Jean-Paul Mognemo, leur responsable, ignore ce désagrément et se met au service de ses poulains. Il lance d’abord les navettes. L’exercice consiste pour les boxeurs à aller et venir en courant, sur une distance courte. Alors que la nuit tombe, on clôture tout par les abdominaux et les étirements. Rendez-vous est pris pour le mercredi suivant. Les pugilistes qui défilent au CJA trois fois par semaine sont sur les traces d’aînés qui ont bâti leur gloire à partir de cet endroit. 

Je suis fier de leur avoir donné de quoi survivre. L’objectif à la base était de donner un métier à ces enfants pour qu’ils puissent en jouir dans leur vie et aider leurs familles

Jean-Paul Mognemo, Directeur technique de la Fédération camerounaise de boxe

La fabrique des champions du monde de boxe 

Le dernier héros à être, en partie, d’ici est Francis Ngannou. Bien qu’il se soit imposé dans le Mix Martial Arts (MMA), le champion du monde camerounais a débuté par …la boxe dans l’arène mythique de New-Bell. Avant lui, il y a eu Carlos Takam (champion du monde World Boxing Foundation et World Boxing Council Silver), Sakio Bika Mbah (2 fois champion du monde super moyens de la World Boxing Council), Hassan Ndam Njikam (champion du monde poids moyens World Boxing Organisation et World Boxing Association), Issa Hamza (3 fois champion du monde poids welters de l’Universal Boxing Organization). Tous ont été initiés par Jean-Paul Mognemo, un ancien élève de l’Institut National de la Jeunesse et des Sports (INJS) du Cameroun. « Je suis fier de leur avoir donné de quoi survivre. L’objectif à la base était de donner un métier à ces enfants pour qu’ils puissent en jouir dans leur vie et aider leurs familles. L’objectif a été atteint pour la plupart d’entre eux. Je suis content quand je les vois hisser très haut le drapeau du Cameroun. Je suis fier ! », se réjouit-il. 

La soixantaine entamée, le technicien a pris sa retraite de la fonction publique camerounaise, mais demeure le directeur technique de la Fédération Camerounaise de Boxe (FECABOXE). Cet ancien boxeur a commencé à pratiquer le noble art à 14 ans avant d’en devenir un champion et de devoir abandonner les rings pour se consacrer à sa carrière de professeur d’éducation physique et d’entraîneur de boxe. La tâche n’a pas toujours été aisée pour le formateur. Ses collaborateurs et lui ont été souvent confrontés à des difficultés de divers ordres. À commencer par la perception du noble art dans les familles camerounaises. Ce sport qui attire les enfants a été mal vu par les parents. Il devenait dès lors difficile pour les coaches de convaincre ces derniers d’accepter que les enfants s’engagent dans la boxe. Parce que, constate avec regret Jean-Paul Mognemo, « depuis très longtemps ce milieu est considéré comme un milieu de délinquants ». Ce qui a pu obliger certains aspirants à venir à l’entraînement à l’insu de leurs géniteurs. Ces dernières années les mentalités changent quelque peu. La plupart des boxeurs qui intègrent la formation avant l’âge de 20 ans sont presque tous des élèves ou étudiants. Tous les boxeurs que l’on y retrouve ont au moins fait le premier cycle du secondaire avant de s’arrêter  en raison des difficultés économiques de leurs parents. 

Des réussites inspirantes 

Depuis 33 ans, de nombreuses promotions de boxeurs sont passées entre les mains de Jean-Paul Mognemo à la salle de boxe de New-Bell. « J’ai toujours eu une base que j’appelle une école de boxe. Je prends les tout-petits autour de 10 ans jusqu’à 16 ans. Je les forme environ 4 ans, ils sont champions du Cameroun. Je vais ensuite les répartir dans différents clubs pour qu’il y ait équilibre, pour qu’il n’y ait pas qu’un seul club fort. L’essentiel pour moi c’est de leur donner une bonne base pour que plus tard, ils puissent travailler ailleurs sans problème », décrit le coach Mognemo.  

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Jean-Paul Mognemo dirige la séance d’entrainement
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Jean-Paul Mognemo dirige la séance d’entrainement

Son centre est considéré comme le principal espace de formation, le plus couru, avec les meilleurs résultats et les meilleurs formateurs du pays. Situé à New-Bell, quartier populaire par excellence, il attire de ce fait beaucoup d’enfants qui peuvent avoir envie de se défendre ou protéger leurs amis et leurs familles. D’autres, désireux de trouver un emploi, y viennent pour acquérir la formation nécessaire au métier d’agent de sécurité privée ou pour faire partie des forces de défense et de sécurité. « Ceux qui ont de la graine de champion ne sont pas les plus nombreux. Ce sont quelques-uns qui vont parvenir à être champions d’Afrique et champions du monde », précise cependant Jean-Paul Mognemo qui ajoute que « dans une vague de 100 enfants, 1 seul peut arriver au niveau mondial ». Cette poignée d’ex pensionnaires couronnés charrie pourtant de nombreux rêves, suscitent d’immenses espoirs auprès des dernières générations de combattants. « Quelques-uns de ces anciens formés hier ici reviennent de temps en temps ici en vacances. La vue des grosses cylindrées qu’ils conduisent amènent d’autres jeunes boxeurs ou aspirants à se dire : « je serai comme lui, les journaux parleront de moi, je vais construire une maison pour mes parents, je serai assez riche », illustre l’expert. Partir devient l’unique alternative pour ceux -et ils sont nombreux- qui caressent ce type de rêve.

Sans matériel ni salle d’entraînement adaptés, en l’absence d’une section de la FECABOXE consacrée à la boxe professionnelle qui permettrait au moins d’en vivre, impossible de s’en sortir. Mognemo comprend les envies d’ailleurs de ses protégés. « Les enfants à un moment, quand ils ont été champions du Cameroun, champions d’Afrique, ou ceux qui ont été aux Jeux Olympiques ne vont pas retourner aux mêmes Jeux dix fois sans rien gagner. S’ils sont sollicités ailleurs et qu’ils voient qu’ils peuvent gagner leur vie, je dis : « tant mieux pour eux ». C’est ce que beaucoup d’entre eux font. C’est même l’objectif de certains quand ils viennent s’inscrire en salle », assure-t-il. Personne pour le contredire séance tenante. Bien au contraire. 

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Cette poignée d’ex pensionnaires couronnés charrie pourtant de nombreux rêves, suscitent d’immenses espoirs auprès des dernières générations de combattants

« Je rêve de pratiquer la boxe professionnelle dans des pays comme les Etats-Unis d’Amérique. Je dois dire que la pratique de la boxe ici au pays est difficile », réagit Alexis Mimadi, 19 ans, champion de la région du Littoral (dont Douala est le chef-lieu) dans la catégorie des 63 Kilogrammes.  Arrivé à la boxe parce qu’il « aime se battre », cet admirateur d’Hassan Ndam et d’un petit-fils de Mohammed Ali bénéficie pour l’heure du soutien de ses parents. Ils continuent de « sponsoriser » leur rejeton en dépit du fait qu’il ait raté le Bac. Dominique Beyidi Kibinde, 25 ans, vice-champion du Cameroun des poids Welters n’a pas autant de chance. Ayant perdu ses parents très jeune, ce vendeur de pièces détachées mise sur la boxe pour sortir ce qui lui reste de famille biologique de la pauvreté.  


En route pour l’eldorado 

L’astuce de cet admirateur de l’Ukrainien Vassili Lomachenko pour atteindre l’objectif ciblé, c’est l’endurance, la persévérance. «  Les conditions de pratique de la boxe sont certes difficiles ici au pays, mais quand tu es conscient, que tu sais ce que tu veux dans ta vie, peu importent les difficultés, tu peux t’appliquer et tu te bats pour pouvoir réussir. Il faut rêver grand en te disant que tu pourras émerger dans le futur. Tu peux te retrouver en équipe nationale et partir de là pour te retrouver dans un pays où la boxe est mieux organisée, avec des gens qui pourront t’entourer et investir sur toi » confie-t-il avant de conclure : « si je continue sur la même lancée, peut-être que les choses vont changer. Peut-être cette année ou l’année prochaine »

Brice Crépin Wankio, le champion du Cameroun des 54 kilogrammes âgé de 28 ans qui s’est mis à faire de la boxe en regardant des boxeurs confirmés déplore leur situation. « Il nous manque des choses. Nous ne sommes pas entretenus comme on le devrait », s’indigne-t-il en dévoilant sa réelle intention. « Je veux boxer à l’international, partout dans le monde entier. J’ai assez de courage pour affronter ce challenge. Comme il faut avancer et ne pas marquer le pas sur place. Je veux poursuivre ma carrière à l’étranger. Là-bas vous évoluez normalement. C’est mieux qu’ici. Je veux vivre de mon art à l’extérieur. Ce qui n’est pas le cas ici ». Certains membres de l’écurie du coach Mognemo imaginent déjà comment leur migration vers des cieux plus cléments va se faire. 

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Voici le projet de Michael Jordan Yodjeu, jeune boxeur de la catégorie des 86 kilogrammes en activité depuis seulement 1 an de boxe et qui affiche comme atout majeur sa grande taille « très sollicitée en boxe anglaise » : « je compte y arriver soit en étant qualifié en allant à une compétition, soit par les propres moyens de mes parents. Pas besoin de fuguer. En compétition internationale, un promoteur peut apprécier ma façon de boxer et m’offrir un contrat ». A l’inverse de son coéquipier élève en terminale filière Maintenance des véhicules de tourisme, le champion d’Afrique Centrale des 57 Kilogrammes Ronaldo Tchouta Mbianda, 22 ans se voit « pro » dans un avenir très proche. « Si possible en 2024 après les JO de Paris, je serai boxeur professionnel à l’étranger. Je vais attirer les recruteurs si je suis qualifié. Je suis sûr que je ramènerai une médaille », croit l’ancien capitaine de l’équipe nationale junior du Cameroun junior. Lui qui dit rechercher « la gloire et beaucoup d’argent ». 


© photo : P. Ntchapda

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