Tout allait bien dans ma vie. Mes cours de Pilates avaient beaucoup de succès, et je n’étais plus qu’à une semaine de finir mon cours de nutrition en ligne à Stanford.La perspective de faire progresser ma carrière m’apportait une grande motivation, tandis que les outils d’intelligence artificielle m’aidaient à renforcer ma visibilité sur les réseaux sociaux.
Ma carrière d’actrice, elle, était un peu en stand-by — mon agent commençait à m’envoyer sur des rôles de « maman », ce qui n’était pas illogique à l’approche de mes 35 ans.
Paul et moi, on était ensemble depuis quelques mois, et tout se passait plutôt bien. Grand, séduisant, avec une mâchoire carrée qui semblait taillée dans le marbre, il avait tout pour plaire. Il réalisait des documentaires et des publicités, un travail à la fois créatif et porteur de sens. Il était aussi très engagé sur les questions de justice sociale et les droits des femmes, ce que j’appréciais beaucoup.
Paul était à moitié juif, tandis que je viens d’une famille à 100 % juive. Son père était juif, mais sa mère était catholique, et assez à gauche. Ils ne célébraient pas vraiment les fêtes religieuses, ce qui m’allait bien. Paul avait aussi un adorable Corgi appelé Falafel, et je pouvais déjà nous imaginer passer des après-midis à le promener ensemble au parc.
On avait tellement de points communs. On adorait regarder des séries HBO, écouter du hip-hop des années 2000, manger épicé dans les restos thaïlandais, et surtout, on partageait une passion pour les Lakers. Il tolérait que je sois accro à Vanderpump Rules, et j’allais de temps en temps avec lui au golf où il m’apprenait patiemment à manier le club.
Paul avait une chevelure magnifique—bouclée, avec quelques touches grises qui ajoutaient à son charme. Je pouvais passer des heures à jouer avec ses cheveux. Notre alchimie sexuelle était indéniable, et c’était clairement un élément central de notre relation.
C’était électrique.
Mais au fur et à mesure que notre relation s’est approfondie, sa vision rigide du monde a commencé à faire surface de plus en plus, révélant des facettes que je n’avais pas remarquées au départ.
Petit à petit, des détails se sont révélés. Il semblait trouver ridicule que j’aime des choses simples comme la saga Pitch Perfect, les smoothies chez Erewhon, ou les tutos maquillage sur YouTube. Il levait les yeux au ciel quand je brûlais de la sauge et balayait l’astrologie d’un revers de main, qualifiant tout cela de « pseudo-science » et ricanant si j’évoquais Mercure rétrograde. Son approche binaire — tout était noir ou blanc — s’invitait même dans les moments les plus anodins, me laissant parfois un goût amer d’être jugée à l’emporte pièce.
Les choses ont pris une tournure plus complexe lorsque le conflit Israëlo-Palestinien s’est invité dans nos discussions.
Ça a commencé doucement. Par exemple, il insistait sur le fait que le falafel (la nourriture, pas le chien) était palestinien plutôt qu’israélien. J’ai haussé les épaules, mais cette insistance me laissait perplexe, créant une tension que je trouvais inutile.
Au fur et à mesure de nos conversations, sa position sur ce conflit me mettait de plus en plus mal à l’aise. Il ne parlait jamais d’Israël, il préférait dire « la Palestine occupée » ou « l’entité sioniste ». Plus on discutait, plus je réalisais à quel point ce sujet était central pour lui.
Un week-end, on s’est rendus dans une boutique de Judaïca à Reseda pour acheter un cadeau pour les 88 ans de ma grand-mère. Elle collectionnait des toupies en verre depuis des années, et chaque fois, je lui en offrais une – c’était un petit miracle qu’elle soit encore de ce monde pour la recevoir !
Paul m’accompagnait, mais je voyais bien qu’il n’était pas à l’aise dans cet univers de culture juive traditionnelle. Il y avait des décorations en forme d’étoile de David partout, ainsi que quelques drapeaux israéliens, et j’ai remarqué qu’il se tortillait dès que nous sommes entrés. Il jetait à peine un œil aux menorahs, aux coupes de kiddouch, ou à tout autre objet de tradition juive.
C’était étrange, vu qu’il était à moitié juif. Mais là, dans cette boutique, c’était comme s’il ne voulait pas être associé à tout ça. Quand je lui ai montré une belle toupie bleue et argentée, il a juste répondu distraitement, « Oui, c’est joli », sans même la regarder.
Après avoir payé, on a dîné dans un restaurant du même centre commercial. La nourriture était incroyable — shawarma, houmous, pain pita tout chaud. C’était le genre de repas dont je ne me lasse jamais, quelle que soit son origine. Mais Paul semblait encore mal à l’aise, lançant des regards furtifs vers les murs décorés de photos de Tel Aviv et d’écritures en hébreu. Après quelques bouchées, il n’a pas pu s’empêcher de dire : « C’est marrant qu’on appelle ça de la nourriture israélienne, alors que c’est un plat du Moyen-Orient depuis des siècles. »
J’ai posé ma fourchette, incertaine de la tournure qu’allait prendre la conversation.
« Je suppose, mais il y a beaucoup de mélanges culturels dans la région », ai-je répondu. « Ce n’est pas parce qu’on appelle ça de la nourriture israélienne que des pays comme la Palestine ou le Liban ne peuvent pas servir quelque chose de similaire. Je ne me fâche pas parce que la nourriture guatémaltèque ressemble à la nourriture mexicaine. Tant que c’est bon, peu importe d’où ça vient, non ? »
Paul a souri, mais je voyais bien qu’il restait tendu. « Ça me dérange juste qu’on oublie souvent les vraies origines des choses », a-t-il ajouté. Malgré tout, il a fini son assiette et a même complimenté les rugelach au chocolat que nous avons partagés en dessert.
Plus tard dans la semaine, après avoir regardé La Zone d’intérêt, la discussion est devenue plus lourde. Paul a comparé les dirigeants israéliens aux nazis.
Deux cultures peuvent chacune se considérer comme autochtones d’un même territoire, ce qui mène au conflit. Mais est-ce que j’avais envie d’en débattre à chaque fois ? Absolument pas.
« Je… je comprends ton point de vue », ai-je dit prudemment. « Mais tu ne penses pas que c’est un peu unilatéral de voir Israël comme le seul méchant dans cette histoire ? C’est plus compliqué que ça. »
Paul a soupiré en se frottant le front. « Compliqué ? Ce n’est pas si compliqué que ça. Les actions d’Israël parlent d’elles-mêmes. Ils ne sont pas autochtones de ce territoire. »
Un sentiment de frustration m’a envahie. « La mosquée Al-Aqsa a été construite sur le mont du Temple, directement à l’endroit des premier et deuxième temples », ai-je répliqué, sans me laisser faire. « Alors, qui était là en premier ? »
Paul n’a pas voulu entrer dans ce débat et a préféré sortir promener Falafel plutôt que de continuer la discussion. Quand il est revenu, il a proposé qu’on aille chez KazuNori manger des makis, et c’est ce qu’on a fait. Le reste de la soirée s’est passé sans accroc, et on a même réussi à éviter de reparler du Moyen-Orient. On a chacun eu plusieurs orgasmes, ce qui a servi de rappel silencieux de l’alchimie qui nous unissait.
Des moments comme celui-là me faisaient me demander pourquoi tout ne pouvait pas toujours être aussi facile avec Paul. Mais ça ne durait jamais – sa personnalité tranchée ne laissait pas beaucoup de place à la nuance. J’étais frustrée qu’il ne puisse pas reconnaître la complexité séculaire de la situation.
Pourquoi tout devait-il être noir ou blanc ? Deux cultures peuvent chacune se considérer comme autochtones d’un même territoire, ce qui mène au conflit. Mais est-ce que j’avais envie d’en débattre à chaque fois ? Absolument pas.
J’ai d’abord essayé de cloisonner. On n’était pas obligés de parler d’Israël tout le temps, n’est-ce pas ? Mais les disputes revenaient sans cesse. J’avais l’impression qu’il était incapable de me dissocier du conflit.
Paul lisait deux livres sur la Palestine pendant que nous sortions ensemble— l’un de Marc Lamont Hill et un autre spécifiquement sur la Nakba — et il en partageait souvent des détails sombres. Je l’écoutais et lui disais que j’étais contente qu’il trouve ces livres intéressants, mais je n’en pouvais plus. J’avais atteint ma limite de discussions sur un conflit qui se déroulait à l’autre bout du monde. Au début, c’était comme s’il était un fan de Star Wars qui ne voulait parler que de Jedis et de batailles galactiques, mais ensuite, c’est devenu plus personnel, presque comme si ma judéité était mise à l’épreuve.
Ça me dérangeait aussi qu’il n’ait jamais été en Israël, alors que j’y suis allée deux fois, et pourtant, il agissait comme s’il en savait plus que moi. Il disait toujours qu’il n’irait pas tant que la Palestine ne serait pas libre, comme si c’était une sorte de déclaration morale. J’admirais ses principes, mais c’était frustrant de le voir parler avec autant de certitude d’un endroit qu’il refusait de voir de ses propres yeux.
Une fois, à un dîner avec ses amis, le sujet d’Israël a surgi, et je me suis préparée au pire. Un de ses amis a fait un commentaire sur les Juifs et le colonialisme, et Paul a immédiatement approuvé. Je ne pouvais pas rester silencieuse.
« C’est injuste », ai-je dit, plus fort que je ne l’aurais voulu. « Tous les Juifs ne soutiennent pas la politique d’extrême droite du gouvernement israélien. »
Le débat s’est poursuivi, la tension montant. « Tu préférerais vivre où — en Israël sous Netanyahu, ou à Gaza sous le Hamas et des leaders comme Yahya Sinwar ? » ai-je lancé, espérant clarifier mon point de vue. Plusieurs personnes autour de la table ne savaient même pas qui était Sinwar.
Paul m’a lancé un regard agacé. « Ce n’est pas la question, chérie. Tout le système est basé sur l’oppression. »
Ses amis ont hoché la tête en signe d’approbation. J’ai été tentée de parler des otages ou de la façon dont les dirigeants palestiniens n’ont pas toujours agi dans le meilleur intérêt de leur peuple, mais j’ai préféré ne pas envenimer la situation. On pouvait discuter de films, de musique, d’art, et tout se passait bien. Mais dès qu’on abordait Israël, il n’y avait plus de place pour la discussion, juste des disputes que je préférais éviter.
Plus tard, alors qu’on était couchés, j’ai essayé de détendre l’atmosphère.
« Tu sais que ton nom sonne comme “Palestine”, non ? » ai-je plaisanté.
Paul a esquissé un sourire. « Fais-moi confiance, je l’ai déjà entendue, celle-là. Peut-être que c’est pour ça que je suis tellement passionné par cette cause. »
J’ai souri, mais au fond de moi, cette blague ne me paraissait plus si drôle.
Une semaine plus tard, on a dîné avec mes parents. J’étais nerveuse. Mon père, qui n’est pas un supporter de Netanyahu mais croit en le droit d’Israël à exister, a fait un commentaire anodin sur le fait qu’Israël devait se défendre.
La réponse de Paul a été immédiate. « Se défendre ? En opprimant toute une population ? Ce n’est pas de la défense, c’est de l’occupation. »
Mon père s’est légèrement penché en arrière, son visage, d’abord indéchiffrable. « Alors, comment tu appellerais ça ? »
Le ton de Paul s’est aiguisé. « C’est une question de pouvoir, pas de protection. La politique menée par Israël est une oppression. »
Les yeux de mon père se sont plissés. « Donc, tu penses qu’Israël ne devrait pas exister ? »
Paul n’a pas cédé. « Pas sous sa forme actuelle, non. »
L’atmosphère est devenue tendue. Ma mère a essayé de désamorcer la situation en lançant, enthousiaste : « Mmm, j’adore ces poivrons shishito ! »
Mais le mal était fait. La déception de mon père était palpable. Il ne l’a pas dit, mais je savais ce qu’il pensait : « Ce n’est pas l’homme qu’il te faut. »
En marchant vers la voiture, Paul s’est tourné vers moi. « Désolé si j’ai été trop dur avec ton père », a-t-il dit, visiblement gêné.
« Peut-être », ai-je murmuré doucement. « Ce n’est pas seulement à propos d’Israël. C’est la façon dont tu vois toujours les choses — comme s’il n’y avait qu’une seule réponse juste, et que ce n’était jamais la mienne. »
Il a soupiré, passant une main dans ses cheveux. « Désolé. Ce n’est pas ce que je voulais te faire ressentir. C’est juste que… ça me tient à cœur, surtout en tant que juif. »
Mais le fossé entre nous était plus profond qu’un simple désaccord politique. C’était une question de vision du monde, et ce n’était pas quelque chose que l’on pouvait réparer.
J’ai hoché la tête, sans savoir quoi répondre. Aucun de nous n’était vraiment pratiquant, et il avait bien le droit de définir son identité juive comme il le souhaitait.
On a fait la route en silence, écoutant une playlist folk sur Spotify. Puis « Hallelujah » de Leonard Cohen a commencé à jouer, et Paul n’a pas pu s’empêcher d’évoquer les concerts de Cohen pour les soldats israéliens pendant les guerres de Yom Kippour et des Six Jours. J’ai zappé vers « Harvest Moon » de Neil Young, ne voulant pas relancer la conversation. Il a marmonné quelque chose sur le fait qu’il ne pouvait pas séparer la musique des positions politiques de Cohen, ce qui m’a agacée, car je le voyais comme une icône. Chacun a droit à ses goûts, j’ai donc laissé passer et me suis concentrée sur la route.
On a fait l’amour cette nuit-là, mais je n’étais pas vraiment présente. Mon esprit vagabondait, pensant à quel point on s’était éloignés l’un de l’autre. Après cela, une révélation s’est imposée à moi, claire et incontestable : c’était fini, je ne pouvais plus continuer ainsi.
Ce n’était pas juste à cause des disputes ou de la politique. C’était sa manière de voir le monde, binaire, sans nuances. Pour lui, tout était soit blanc, soit noir, alors que pour moi, la vie est pleine de zones grises, de complexité. Le monde est chaotique, et je ne vois aucun intérêt à simplifier les choses à outrance, surtout quand il s’agit d’identité et de culture.
Après seulement cinq semaines ensemble, mon corps m’envoyait déjà des signaux, sous forme de maux de tête et de douleurs lombaires. Mon physique réagissait à quelque chose de plus profond — je ne pouvais plus le nier.
Et pourtant, le sexe était incroyable, et on avait l’air tellement bien ensemble, que ce soit en tenue de soirée ou en jogging à la maison.
Je n’oublierai jamais le jour où on a emmené Falafel à Rosie’s Dog Beach, avant de passer des heures à manger des tacos de poisson et à siroter des margaritas au mezcal. Ce soir-là, on n’a pas parlé une seule fois du Moyen-Orient, et c’était un soulagement.
Au fond de moi, je savais que Paul n’était pas l’homme qu’il me fallait, mais je m’acharnais à me concentrer sur ce qui fonctionnait.
Certains appelleraient ça de l’optimisme.
Le lendemain matin, après le dîner avec mes parents, je lui ai finalement dit que ça ne pourrait pas durer. Il n’a pas protesté — il a simplement hoché la tête, comme s’il le savait déjà.
J’ai besoin de quelqu’un qui sache naviguer entre des vérités opposées, en comprenant que tout n’est pas noir ou blanc.
En rangeant mes affaires, je ressentais un mélange étrange de soulagement et de tristesse. Paul avait tellement de qualités : il était passionné, attentionné, et il était vraiment drôle. Mais le fossé entre nous était plus profond qu’un simple désaccord politique. C’était une question de vision du monde, et ce n’était pas quelque chose que l’on pouvait réparer.
Avant de partir, il a senti le besoin de partager une dernière pensée : « Je ne peux pas soutenir quelque chose qui ressemble à un génocide, et toi, on dirait que tu le fais. »
Ses mots ont résonné en moi plus profondément que je ne l’aurais cru, soulignant encore une fois sa façon binaire de voir les choses. J’ai pris un moment, surprise par le poids de sa remarque. C’était comme un coup final, non seulement dans cette discussion, mais aussi dans ce qu’il restait de notre relation.
« Je ne soutiens pas la haine, sous aucune forme », ai-je simplement répondu, en le laissant là. J’ai caressé une dernière fois son adorable Corgi, en sachant que je ne reverrais probablement jamais ni l’un ni l’autre.
En conduisant depuis le bungalow de Paul à Culver City, je me suis demandé à quel point les choses auraient pu être différentes si nous avions mieux réussi à communiquer.
Mais ça ne se passe pas toujours comme on le voudrait.
On peut admirer la passion de quelqu’un, partager ses centres d’intérêt, et pourtant savoir, au fond de soi, que cette personne n’est pas la bonne.
J’ai compris, au final, que notre histoire m’avait éclairée sur quelque chose d’essentiel : ce dont j’avais vraiment besoin. Tout le monde ne voit pas le monde de la même façon, et c’est très bien comme ça. Ce qui compte vraiment, c’est comment on gère ces différences et comment on communique pour les dépasser.
Je ne regrette pas cette histoire avec Paul, et je suis reconnaissante de ce qu’elle m’a permis de comprendre. J’ai besoin de quelqu’un qui sache naviguer entre des vérités opposées, en comprenant que tout n’est pas noir ou blanc.
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