Reportage

Après M : Venez (VRAIMENT !) comme vous êtes

La révolution et après ?

31/08/2021

Dans les quartiers nord de Marseille, un ancien McDonald’s a fait sa petite révolution : devenu plateforme d’aide alimentaire lors du premier confinement, le lieu réquisitionné par une centaine de bénévoles a désormais comme objectif de devenir un « fast social food ».

Lundi matin : la distribution alimentaire a démarré depuis 8 h, mais « certains étaient déjà là dès 6 h », affirme Mohammed. Drapé dans une cape de pluie en raison de l’orage qui menace, ce trentenaire du quartier, responsable de l’opération, sillonne entre les différents groupes de bénévoles afin de gérer le flot des demandes. « Il n’y a plus de pain ? Ok, je vais voir à la réserve », lance-t-il énergiquement à ses troupes. C’est lors du premier confinement de mars 2020, et suite aux drames sociaux qu’il a générés, que Mohammed a eu une brusque prise de conscience, devenue évidence : « tendre la main à son prochain par l’entraide collective ». À l’Après M, il a trouvé son lieu d’engagement.

C’est dans cet ancien McDonald’s, implanté à Sainte-Marthe dans les quartiers nord de Marseille (14e arrondissement) depuis 1992, que Mohammed, comme une centaine d’autres bénévoles, s’investit chaque jour auprès de la population du quartier, dans le but de proposer un autre modèle social, basé sur la solidarité et l’entraide, aux antipodes du capitalisme américain servi par la chaîne de fast-food. Dans ce lieu hautement symbolique réquisitionné depuis avril 2020, habitants du quartier, anciens salariés, et citoyens en quête d’engagement organisent tour à tour des distributions alimentaires, des maraudes, mais aussi des ateliers pour enfants ou encore une initiation au bien manger avec un carré potager qui a fleuri en lieu et place de l’ancien parking.

Ce que j’aime ici ? Tout : l’ambiance, les gens, notre manière de travailler ensemble… c’est un grand bordel organisé qui fonctionne bien

Natalie, bénévole

David contre Goliath

À côté des anciennes caisses enregistreuses du restaurant, Kamel, barbe fournie et k-way noir, trie les produits frais pour fournir les paniers repas du jour. C’est lui, l’initiateur du combat : « Fin 1998, je suis embauché chez McDonald’s en tant qu’équipier polyvalent. J’évolue rapidement, pour devenir l’un des plus jeunes managers de la structure, à tout juste 18 ans. » Il tourne alors dans plusieurs enseignes de Marseille, mais aussi à Vitrolles et Aix-en-Provence. « D’un resto à l’autre, je me suis rendu compte qu’on n’avait pas les mêmes avantages. Or, le burger a le même goût partout », raconte l’ancien salarié. En 2013, il se met en lien avec les équipes de Paris, Lyon, Rouen et Nice, et crée une charte sociale nationale, incluant treizième mois, revalorisation des horaires de nuit, contrats étudiants, mutuelle, aides aux transports… « On a fini par devenir un modèle social très dangereux pour McDo », plaide Kamel. En 2018, le mouvement dépasse les frontières de la France et s’étend en Italie et en Espagne.

À Sainte Marthe, la firme finit par craquer sous la pression : McDonald’s envisage de vendre le fonds de commerce à Ali Food, une holding tunisienne. « Un repreneur de paille », estime Kamel, qui décide de s’enfermer dans le restaurant pour dénoncer ce qu’il nomme « une mascarade ». La vente est alors suspendue et en décembre 2019, la structure est placée en liquidation judiciaire. McDonald’s négocie des enveloppes budgétaires pour les anciens salariés. Kamel refuse : « Je ne suis pas à vendre », leur assène-t-il, tête haute. En avril 2020, face à la crise sanitaire et sollicité par les associations de la ville, il transforme le lieu en une plateforme logistique d’aide alimentaire et de produits de première nécessité. Utilisant les chambres froides et les équipements de cuisson, une centaine de bénévoles préparent 70 000 colis pour 100 000 bénéficiaires, et grâce à un système de « Über solidaire », portent des repas à domicile pour des personnes à mobilité réduite.

Aide administrative, écriture de rap et maraîchage bio

« Faites place : j’amène les yaourts ! », clame Ouarda, traînant un énorme chariot près des équipes de la distribution alimentaire. Cette bénévole, habitante du quartier et mère célibataire de quatre enfants, a connu l’Après M de l’autre côté de la barrière. Avec la crise sanitaire, cette gérante dans l’alimentaire a dû liquider ses deux sociétés pour ne pas être endettée. « Je me suis retrouvée la tête en bas », confie-t-elle, devant pointer aux Restos du cœur pour faire subsister sa famille. Ayant entendu parler du lieu par une amie, elle s’y rend le lundi suivant et bénéficie de l’aide alimentaire pendant trois mois. Un jour, elle décide, « au culot », de proposer son aide. « J’ai reçu un accueil phénoménal », se rappelle Ouarda qui trouve alors un espace pour se poser, prendre un café, parler de ses soucis, aider si elle le souhaite… « Kamel m’a dit “la porte est ouverte, tu es chez toi” », en sourit-elle encore.

Avec l’activité de ce nouveau lieu de solidarité devenue désormais indispensable dans le quartier, l’association « Après M » est officiellement créée. En décembre 2020, le lieu est inauguré en grandes pompes, avec quelques figures de la lutte anticapitaliste comme Jean-Luc Mélenchon et José Bové. Car au-delà d’une aide alimentaire, les ambitions de l’association résident avant tout dans une réappropriation du lieu par les habitants pour en faire un espace d’entraide collective. Sur l’initiative spontanée de bénévoles, plusieurs activités ont ainsi germé sur l’ancien site de restauration rapide : ateliers d’écriture de rap et de cuisine pour enfants, maraîchage bio sur le parking (dont les produits sont redistribués gratuitement dans les paniers repas), magasin gratuit de vêtements, livres ou jouets, aides aux devoirs et aux démarches administratives, sorties en mer pendant l’été… « Une centaine d’habitants passent chaque semaine pour participer aux activités ou proposer leur aide », révèle Sylvain, responsable communication pour l’Après M.

Autogestion bénévole et spontanée

« Ce que j’aime ici ? Tout : l’ambiance, les gens, notre manière de travailler ensemble… c’est un grand bordel organisé qui fonctionne bien », déclare Nathalie, 30 ans, bénévole à l’Après M depuis janvier 2021. Depuis 8 h, elle s’active pour remplir les paniers repas de yaourts, saucisson au poulet, lait, pain, fruits et légumes : la récolte du jour. Ne recevant aucune subvention, l’Après M fonctionne uniquement à base de dons de grandes surfaces, boulangers ou commerces de proximité. Chaque samedi, les bénévoles se retrouvent afin de s’organiser sur les chantiers en cours, selon les souhaits de chacun. « Il n’y a pas de contrôle : c’est le peuple qui s’organise », s’enthousiasme Nathalie.

« Ça a révolutionné le mode de fonctionnement associatif », renchérit Ilias, bénévole de 36 ans « né sur la Canebière ». Réception des marchandises, déchargement, tri, distribution : il vient trois fois par semaine pour donner un coup de main selon les besoins du moment. « C’est un phénomène dans les quartiers nord de Marseille : pour beaucoup, c’est devenu un lieu d’ancrage ». Mais au-delà d’être un espace ressource pour les habitants du quartier, l’ambition de l’Après M va plus loin : « ne pas donner aux gens que des colis mais aussi de l’insertion et de l’emploi », résume Nathalie.

L’enjeu est de développer un modèle qui pourra s’exporter, on plante des graines et on verra bien où elles fleuriront

Sylvain, responsable communication pour l’Après M

« Laissez-nous les clés »

Au début de l’année 2021, l’association se mobilise pour mettre en place une structure plus pérenne. Objectif : créer un restaurant solidaire, proposant des burgers 100 % bio, locaux, de saison et à prix libres, pour redonner un emploi aux 77 anciens salariés de la firme américaine. « Il s’agit aussi de valoriser les idées des habitants en imaginant des menus en concertation avec eux, et en les nommant d’après leurs quartiers, comme le Castellane ou le Font-Vert », précise Sylvain. L’ambition est aussi de former les participants à un système démocratique de prise de décision. Avec une campagne intitulée « Laissez-nous les clés », l’Après M souhaite racheter le lieu, appartenant toujours officiellement à McDonald’s, en créant une société citoyenne immobilière (« La Part du Peuple »), proposant à 50 000 personnes d’acheter une part à 25 €, ou d’investir dans des « parts suspendues » (comme les cafés suspendus) pour les personnes aux moyens plus limités. Dans un premier temps, l’association s’est engagée à réembaucher 37 des 77 salariés initiaux pour travailler dans ce « fast-social-food » qui devrait ouvrir courant 2022.

Mais, coup de théâtre : le 2 juin 2021, la mairie de Marseille, qui s’était constituée médiateur dans cette affaire, se porte acquéreur du restaurant. « Lorsque les Marseillais décident de leur destin, quand ils considèrent qu’ils ont un rôle à jouer dans la ville, et que leur histoire doit se confondre avec celle de Marseille, les choses sont possibles », déclare alors Benoît Payan, maire de la ville. C’est la fin du bras de fer avec le géant américain, et un soulagement pour les équipes de l’Après M, qui passent de squatteurs illégaux à locataires officiels du lieu. Toutefois, « la SCI est toujours à l’ordre du jour », souligne Fati, responsable juridique de l’Après M. Objectif : « signer un bail immobilier de 25 ans afin de consolider le projet et d’éviter à la collectivité de supporter ce coût financier », poursuit-il.

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Essaimer des graines de révolution

Il est près de midi en ce lundi de mai. Sous l’orage qui finit par craquer, la file de bénéficiaires se tarit peu à peu. Habitants de tous âges s’éloignent en égrenant des remerciements en arabe ou en français. « Ils étaient 2 166 inscrits aujourd’hui », annonce Ilias. Fatigue et sourires se devinent derrière les masques des équipes de bénévoles. Ouarda continue de ranger, entame le ménage dans les chambres froides. « Ça me tient énormément à cœur, je fais ça plus par plaisir que par nécessité », confie-t-elle.

Ce qu’elle souhaite pour l’Après M ? « Faire prospérer cette cause et cet élan, élargir le concept, faire participer les jeunes, organiser davantage d’événements, tisser des liens avec des commerçants du quartier… » En juillet, elle part, avec d’autres membres de l’association en Roumanie, Allemagne, Italie ou Belgique, à la rencontre d’autres causes similaires. « L’enjeu est de développer un modèle qui pourra s’exporter », argumente Sylvain, « on plante des graines et on verra bien où elles fleuriront. »

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