Reportage

Dans les quartiers Nord de Marseille, l’école qui veut changer le monde

La révolution et après ?

1/02/2023

Appartenant au réseau d’écoles hors-contrat Espérance Banlieues, le Cours Ozanam a ouvert à Marseille en 2014. Grâce à une mixité sociale au sein des élèves et une pédagogie empruntée au scoutisme, l’école transmet des valeurs de solidarité et de confiance en soi bien au-delà de ses propres murs.

« Socrate, qui peut te battre ? », « 1,2,3, Beethoven nous voilà ! », « Marie Curie, tous ensemble, on te suit ! » Au Cours Ozanam, école maternelle et primaire à l’entrée des quartiers Nord de Marseille, l’heure est à la fête. Sous un soleil automnal, la petite centaine d’élèves est réunie en cercle autour de l’équipe pédagogique, leurs parents assis sur des bancs autour. Chaque enfant est regroupé en équipe inter-âges, sous la bannière de personnages historiques célèbres (de Socrate à Lucie Aubrac en passant par Marco Polo), dont les cris d’équipe sont scandés les uns après les autres. C’est au tour de Nolan, nouvel élève de CP de 6 ans, de s’avancer avec sa mère, présente pour l’occasion, qui ne cache pas sa joie. « Vos parents et moi sommes très fiers de vous remettre cet uniforme », déclare solennellement le chef d’établissement, Valentin Rebeix. Le petit Nolan rougit, pressé de revêtir le pull vert que portent tous les autres garçons de l’école. Une fois l’uniforme enfilé, Nolan se tourne vers ses camarades : une ola parcourt le cercle d’élèves puis tous applaudissent l’enfant, heureux comme un jour de Noël. Son chef d’équipe, un grand de CM2, vient ensuite le raccompagner à sa place : il fait désormais partie de la grande famille du Cours Ozanam.

Créé en 2014, le Cours Ozanam appartient au réseau Espérance Banlieues. Au sein de cette association, 18 écoles hors-contrat (dont le Cours Ozanam) sont réparties sur tout le territoire national, chacune dans un Quartier Prioritaire de la Ville. A l’origine, un fait majeur : les émeutes de 2005 dans plusieurs banlieues françaises, symptôme de l’échec des politiques publiques dans ces quartiers. En réaction, le maire de la ville de Montfermeil (93) souhaite lancer en 2010 une expérimentation de solutions alternatives en matière d’éducation. La Fondation Espérance Banlieues naît deux ans plus tard, avec une première école à Montfermeil puis la seconde dans le 13ème arrondissement de Marseille.

Au-delà d’apprendre le français, les mathématiques ou la géographie, les professeurs d’Espérance Banlieues sont également des éducateurs, qui s’attachent à transmettre des valeurs liées au savoir-être

Une pédagogie pour favoriser le vivre-ensemble

« Nous avons trois piliers fondamentaux communs à toutes les écoles », explique Valentin Rebeix, à la tête du Cours Ozanam depuis un an, « éduquer, enseigner et enraciner ». Car au-delà d’apprendre le français, les mathématiques ou la géographie, les professeurs d’Espérance Banlieues sont également des éducateurs, qui s’attachent à transmettre des valeurs liées au savoir-être. « Nous nous basons sur une pédagogie emprunte au scoutisme : uniforme, équipes inter-âges, participation à des services dans l’école, mini-camps ou encore jeux collectifs avec les adultes de l’équipe pédagogique » poursuit le chef d’établissement marseillais.

« Ici, on peut être ami avec tout le monde », clame Soumaya, 8 ans, élève au Cours Ozanam depuis 3 ans. Inès, 9 ans et demi, la rejoint : « dans mon ancienne école, on faisait beaucoup de différence : qui était moins riche que les autres… quand j’ai reçu mon uniforme, ça m’a rendu heureuse ». Membres de la même équipe Anita Conti, du nom de l’exploratrice française du siècle dernier, les deux fillettes racontent leur joie de réaliser des services ensemble comme ranger les tables installées dans la cour chaque midi pour le déjeuner ou encore s’occuper des poules, centre d’intérêt général. « Un jour, j’aimerais bien être chef d’équipe », poursuit Inès. Dévolu aux « grands » de CM2, ce rôle consiste à prendre soin des plus petits et s’assurer que chacun remplisse son rôle. A l’image d’Emile, chef de l’équipe Jeanne d’Arc : « Gabrielle, toi tu essuies la table, Mehdi, toi tu ranges les bancs ». Derrière ses lunettes carrées de grande personne, l’écolier veille au grain et s’attelle à ranger les tables pliées que les autres élèves lui apportent. « C’est pas que j’aime particulièrement faire ça, mais il faut le faire donc je m’en occupe », pointe-t-il doctement, du haut de ses 10 ans.

La banlieue comme lieu d’expérimentation et d’innovation

« L’école est un lieu de vie, comme une micro-société où l’on découvre et expérimente les rapports humains de bienveillance, de fraternité et d’ouverture », poursuit Valentin Rebeix, « l’ambition est d’avoir un impact sur les femmes et les hommes de demain ». Ce projet pédagogique, pensé exclusivement pour être enraciné dans des quartiers difficiles, se veut être un laboratoire : « à l’image de Maria Montessori qui a développé sa pédagogie au sein d’une Maison des enfants dans un quartier populaire de Rome, la banlieue est le lieu de l’innovation que l’on peut ensuite partager à l’extérieur », analyse le trentenaire marseillais. 

Avec une spécificité qui lui est propre, le Cours Ozanam porte deux ambitions principales : « lutter contre le décrochage scolaire et le communautarisme », annonce le directeur. De fait, cette école est l’une de celles où la mixité est la plus forte dans le réseau Espérance Banlieues : un élève sur deux est issu de Quartiers Prioritaires de la Ville, notamment de la Cité des Lauriers, « l’une des dix cités les plus difficiles en France », pointe Valentin. Au quotidien, Medhi, Elyes et Besma côtoient ainsi Côme, Salomé ou Timéo.

Soutien à la parentalité et ouverture sur le quartier

« C’est une chance de pouvoir offrir aux enfants une vraie mixité sociale et un vivre-ensemble », constate Blanche-Astrid, mère de trois enfants dont deux, en âge d’être scolarisés, sont inscrits au Cours Ozanam. Venue assister à la remise d’uniforme de son fils Camille, cinq ans, elle apprécie ce « cadre privilégié » : des petits effectifs (pas plus de 15 élèves par classe), des enseignants très présents et « une liberté pour chacun de vivre sa religion dans la discussion, et non comme un tabou ». Non loin de là, une autre maman discute avec d’autres parents sur un banc. « C’est simple : c’est la meilleure école de tout Marseille », affirme Farida, mère au foyer. « Nous, on habite dans le 10ème arrondissement, on met 45 minutes pour venir mais ça vaut le coup », poursuit-elle. Pourtant, elle avait inscrit ses deux filles en primaire et en maternelle dans le privé. Mais, « ici on communique », avance-t-elle, « à la fois avec les professeurs et entre parents ».

L’école est un lieu de vie, comme une micro-société où l’on découvre et expérimente les rapports humains de bienveillance, de fraternité et d’ouverture

Valentin Rebeix, directeur du Cours Ozanam

Depuis son ouverture en 2014, le Cours Ozanam a fait le choix de développer un volet annexe à l’école dédié au soutien à la parentalité : visites de l’équipe pédagogique au domicile des familles, ateliers de formation pour adultes (aide aux devoirs, gestion des écrans, jeux en famille, nutrition) et un café des parents hebdomadaire. « C’est un lieu de gratuité qui aide à construire la confiance », pointe le chef d’établissement. « J’y vais toutes les semaines », assure Farida, « on peut poser plein de questions et on se donne des astuces pour les aides aux devoirs ». « J’y participe de temps en temps pour partager les difficultés et les joies d’autres parents », raconte de son côté Blanche-Astrid, « ça m’aide à vivre vraiment la différence et à m’ouvrir sur le quartier ». Dans sa perspective de « micro-société », le Cours Ozanam développe également des partenariats avec des chefs d’entreprise, la maison de retraite voisine, des associations du quartier… Farida a notamment pu participer à un atelier de réinsertion professionnelle avec une association partenaire, « Massajobs ». « Ce n’est que du positif », conclut cette dernière.

Un système hors-contrat fragile mais solidaire

Pourtant, au début, « l’approche Ozanam » a dérouté Farida : « on se posait plein de questions sur le fonctionnement hors-contrat », se souvient la mère de famille. A commencer par le coût, qui même s’il est adapté en fonction du coefficient CAF des familles, revient en moyenne à 60 euros par élève par mois. « Et cela ne couvre que 10% des frais de fonctionnement », prévient Valentin Rebeix. Malgré ses premières hésitations, Farida fini par trancher : « je préfère payer, c’est pour le bien de mes filles ».

Pour couvrir le budget annuel, l’école a notamment recours à des subventions de la Ville de Marseille et du Département des Bouches-du-Rhône, même si « 80% de nos fonds proviennent de dons d’entreprises ou de particuliers », poursuit le directeur. Un fonctionnement qui s’avère à double-tranchant : « c’est un moteur de solidarité mais c’est aussi un stress chaque année ». 

Au-delà de l’aspect financier, certaines polémiques se sont fait entendre au niveau politique : plusieurs enquêtes ont mis à jour des liens entre le réseau Espérance Banlieues et les milieux conservateurs. Son fondateur, Eric Mestrallet, fut un proche du Mouvement pour la France de Philippe de Villiers. Le réseau a également été affilié à ses débuts à la Fondation pour l’Ecole, liée à La Manif pour Tous et à la Fondation anti-IVG Jérôme Lejeune. Depuis 2019, Espérance Banlieues s’est affranchi de cette structure et évolue désormais sous l’égide de la Fondation de France.

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Un apprentissage du vivre-ensemble durable

« Ce qui m’a le plus marqué ? une incitation à l’implication personnelle », se souvient Antoine, 15 ans, en classe de première dans un lycée cossu du centre-ville de Marseille. Cet ancien élève revient sur les lieux qui l’ont vu grandir lors d’une « réunion des anciens » que l’école initie cette année. « Ici, j’ai appris à faire les choses par moi-même. Du coup je me suis impliqué dans mon lycée : je me suis présenté au conseil de vie lycéenne et au Conseil d’Administration », poursuit le jeune homme. « Je suis passée de 13 à 29 élèves en classe, c’est assez spécial », indique de son côté Roya, 11 ans, qui vient d’entrer en 6ème dans un collège privé des environs.

Au sein des 70 anciens élèves que compte désormais le Cours Ozanam, « 100% d’entre eux ont choisi le collège où ils voulaient aller et 90% sont allés dans le privé. Pour nous c’est une réussite, car ils sont désormais sur des rails. » indique le chef d’établissement, qui tombe la veste pour aller jouer à la balle au prisonnier avec les anciens élèves. Avant d’aller se joindre à eux, Roya ajoute : « au Cours Ozanam, j’ai appris à devenir sociable avec tout le monde, quel que soit l’âge ou la culture. Ici, on joue collectif ! »

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