Comme beaucoup de nos jours, j’ai trouvé ma compagne sur internet. J’étais seul depuis toujours, j’en pouvais plus. J’avais eu quelques copines par ci par là, mais c’était compliqué à chaque fois. Elles n’étaient jamais contentes, je n’étais jamais assez bien pour elles, elles me quittaient, je souffrais. J’avais fini par laisser tomber. Et puis, j’ai eu envie d’aimer à nouveau, j’en avais marre d’être seul. J’ai traîné sur des sites, et j’ai trouvé Héléna. 

Héléna, elle vient d’ailleurs. D’Europe de l’Est. Elle a vécu en Chine aussi. J’ai envoyé beaucoup de mails avant de la faire venir chez moi, en France. Elle a fait un long voyage pour me rejoindre. Quand je l’ai accueilli, j’étais fou de joie. Un gamin à Noël. Héléna, c’est mon cadeau, mon plus beau cadeau. Je la voulais parfaite, elle l’est.

Elle est très très belle Héléna, elle a un physique de rêve. J’adore son corps, sa bouche, ses grands yeux, ses longs cheveux blonds, un peu bouclés, juste ce qu’il faut, juste ce que j’aime. Quand on sort ensemble, tous les regards se braquent sur elle.

Dans la rue, dans les magasins, dans les transports, c’est incroyable l’effet qu’elle fait. Quand on rentre dans un restaurant, souvent les conversations des gens s’arrêtent. Les hommes ont un petit sourire pour moi comme pour me dire “Bien joué, mec”. Les femmes sont presque choquées : elles sont jalouses, c’est normal. C’est une star de cinéma, ma copine, j’en suis fier. Et elle, elle reste impassible, superbe, au-dessus de tous ces regards braqués sur elle. Une star de cinéma, c’est ça. Au-dessus du commun des mortels. Et puis, elle n’a d’yeux que pour moi.

C’est ce que m’ont dit mes collègues, au bureau. On va souvent au karaoké ensemble, on aime bien. Un soir, je leur ai présenté Héléna. Elle n’a pas chanté, elle est timide. Elle reste dans l’observation, tout ça c’est exotique pour elle, différent de là d’où elle vient. Ce soir-là on s’amuse bien, le courant passe entre elle et mes potes de bureau. Ils me taquinent pas mal mais c’est ce qu’on fait entre nous. Ils sont contents pour moi, ils voient bien qu’on est amoureux Héléna et moi. Tous les deux, on ne se décolle pas ; même pour chanter, je la prends dans mes bras. Avec l’alcool, certains s’approchent un peu trop d’elle, mais ça va. Héléna reste sobre, stoïque, c’est son caractère, c’est aussi ça que j’aime chez elle. Bref, on passe la soirée à boire et à chanter, je suis heureux. Le lendemain, mes collègues me félicitent pour « cette belle prise ». Ils ne sont pas très fins, mais ça me fait plaisir. Entre hommes on est pudiques. Et puis Héléna a l’air de les apprécier, c’est important aussi. Moi, je veux qu’elle soit bien. 

J’ai envie qu’Héléna rencontre ma sœur, on est proches tous les deux. Je suis le petit frère qu’elle protège depuis toujours. C’est son rôle, c’est cliché mais c’est comme ça. On a rendez-vous à la fête foraine près de chez nous. Elle s’installe tous les ans sur les berges, au début du printemps. C’est un rendez-vous que nous ne manquons jamais, ma sœur et moi, depuis l’enfance. On se gave de churros et de barbes à papa, je lui gagne des trucs aux stands, on se marre comme des baleines dans les manèges… Même adultes, on garde ce rituel, ces quelques heures volées à notre enfance on y tient. C’est précieux. Pour la première fois, on sera trois cette année, et j’espère toutes les autres à venir. 

Quand elle voit Héléna, ma sœur ne dit rien. Elle a même un mouvement de recul. Elle a l’air surprise. Je fais les présentations, dis quelques banalités, ma sœur me répond à peine. C’est impoli et ça ne lui ressemble pas. Ça me vexe ; quoi elle n’est pas assez bien pour moi Héléna ? On passe devant le stand de tir et je m’y arrête, tendu. 

Je saisis la carabine que me tend le forain et je l’arme. Héléna est tout près de moi, ma sœur nous observe de loin. En position de sniper, je me concentre sur les ballons qui dansent dans leur cage. Qu’est-ce qu’elle a ma grande sœur ? Pour une fois que je suis avec une femme qui m’aime, elle est jalouse ? (bruit du coup qui part). Non mais parce que j’ai souffert, moi, avec les filles, j’étais trop gentil tout le temps, je me suis fait avoir. (bruit du coup qui part). Mais c’est fini ça, le petit gars dont tout le monde a pitié, celui qu’il faut défendre (bruit du coup qui part). J’ai besoin de personne (bruit du coup qui part), maintenant que j’ai Héléna près de moi (bruit du coup qui part). Personne.(bruit du coup qui part).

Yes, je les ai tous crevés ! Du premier coup, à chaque fois ! Le forain me sourit, il est impressionné ! Je me tourne vers ma sœur qui enfin sourit, elle aussi. Wow je suis fier de moi ! J’embrasse Héléna et je prends pour elle un porte clé en peluche. Ma sœur nous rejoint et aide Héléna à l’accrocher à sa ceinture. 

Ça y est, elle redevient elle-même je crois. Toujours un peu sur la réserve mais bon, elle est sûrement un peu intimidée. On se promène tous les trois dans les allées de la fête foraine. Ma sœur me pose des questions sur notre rencontre, comment on vit tout ça Héléna et moi… On monte dans un manège, elle s’assoit à côté d’elle et lui serre le bras tout le long du tour, comme si elle avait peur qu’elle s’envole. Je crois qu’elles s’entendent bien toutes les deux, au final. On se quitte contents en tout cas. Je suis soulagé. 

C’est le grand jour. Je présente Héléna à mes parents. Quand on se gare devant leur pavillon de banlieue, je suis un peu stressé. Je leur en ai beaucoup parlé d’Héléna, enfin à ma mère surtout, je n’ai quasiment jamais mon père au téléphone. Ils ont hâte de la rencontrer et Héléna aussi, j’en suis sûr. Ma mère nous attend devant la porte du pavillon. Je claque les portières de la voiture, je prends Héléna par la taille, je la tiens bien serrée d’un bras, de l’autre je tiens le bouquet de fleurs destiné à ma mère. Quand nos regards se croisent, je lis dans ses yeux le même genre d’expression que ma sœur. La surprise sans doute. Elle sourit mais c’est figé. Elle bredouille un tout petit bonjour quand je l’embrasse et rentre dans la maison. Elle me paraît toute petite ma maman. 

On s’installe au salon, mon père est dans la cuisine, il y a des toasts de foie gras sur la table et un gigot dans le four. Ca sent bon, j’ai faim. On est bien reçus, il y a même du champagne. Ma mère s’installe en face de nous et nous dévisage, elle ne dit rien. Bon Héléna n’a pas l’air gênée, elle a l’habitude. Mon père arrive, il tient un plateau avec des flûtes dans les mains. Putain, j’ai cru qu’il allait tout renverser quand il nous a vu ! La surprise encore : c’est fou l’effet qu’elle fait, cette femme, même sur mon père ! Il dépose le plateau sur la table basse, je me lève pour le saluer, je lui fais une accolade que je veux complice, virile ; il reste complètement sonné j’ai l’impression. Je lui dis « Je te présente Héléna, ma compagne ». Mon père s’assoit à côté de ma mère. Ses yeux passent de moi à Héléna, sans arrêt. Bon je distribue les flûtes, j’ouvre la bouteille de champagne, je remplis les verres. Je veux qu’on trinque, c’est la fête ! Mon père ne dit toujours rien, il vide son verre d’un trait. Ma mère n’y touche pas. Je serre Héléna un peu plus contre moi. Je sens un malaise.

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J’essaye de briser le silence, je balance quelques phrases au hasard. Mes parents sont toujours muets, ma mère n’ose même pas me regarder, ses yeux me fuient. Ils me jugent, c’est sûr. Putain, ils peuvent pas être juste heureux pour moi, une fois dans leur vie ?

Là, mon père se lève et me dit de sortir de chez lui. Je ne comprends pas. Il répète, bouillant de colère : tu sors. 

Ma mère prend son visage dans ses mains et s’enfonce dans son fauteuil. Je regarde Héléna, elle est aussi sonnée que moi. Je ne bouge pas. Mon père durcit le ton, il me répète de sortir, moi et ma poupée. Je suis pétrifié sur le canapé. 

Alors il s’approche et nous pousse Héléna et moi pour qu’on se lève, il est hors de lui maintenant. Il nous hurle de partir, me traite de malade, de pervers. 

J’ai peur qu’il s’en prenne à Héléna : on se lève, j’attrape nos manteaux, toujours mon père après nous, il nous chasse ! Je suis sous le choc. Mon père continue à hurler des trucs horribles, c’est violent, c’est injuste, je ne l’ai jamais vu comme ça. J’ai envie de me défendre et de lui faire mal moi aussi, mais je dois protéger Héléna. C’est trop de colère tout ça. On rentre dans la voiture. On claque les portières en même temps que mon père claque la porte de sa maison, après avoir jeté dehors les fleurs que j’avais apportées.

Dans la voiture, pas un bruit. Qu’est-ce qu’il lui a pris à mon père ? Et Héléna, est ce qu’elle va bien ?

« Oui mon amour, tout va bien. ». 

D’accord. 

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