Et j’y retourne,
j’écris sur la résistance et les problèmes,
les conflits et les épreuves,
le sourire encore aux lèvres.
Shakur (rappeur)
Fixer un rendez-vous avec Kashef pour parler des événements qui ont secoué l’Égypte il y a dix ans a été une démarche extrêmement complexe. Sa vie aujourd’hui en porte les séquelles. En ce sens, ce qui s’est passé n’appartient pas à une histoire qui serait révolue et archivée. En janvier dernier, il y a quelques semaines, il a entamé une grève de la faim qui a duré dix-huit jours et nuits. Il ne s’agissait pas d’une forme de protestation publique, mais d’un acte politique personnel, qu’il a à peine communiqué sur les réseaux sociaux. Cette grève de la faim fut accomplie en mémoire de la glorieuse période en 2011, alors que les Égyptiens renversaient leur gouvernement, celui du pays arabe le plus vaste, situé au cœur du Moyen-Orient. Il souffre aussi de stress post traumatique. Traqué, son portable a été mis sur écoute. Il vit aujourd’hui en exil à Berlin. Et très souvent, il a du mal à dormir. Ce que les Occidentaux appellent « l’histoire » reste pour lui comme une marque sur la peau, une déchirure de l’âme. J’ai dû faire preuve de patience à chaque rendez-vous déplacé, retard et explications ; mais j’ai compris que c’était déjà une façon pour moi de faire le lien avec son expérience et la force vive de son passé engagé.
Kashef était déjà engagé politiquement avant le début de la révolution, tout comme nombre de ses collègues de l’Université d’Alexandrie, où il étudiait le droit à l’époque. Mais la première fois qu’il a vraiment ressenti le différend qui existait entre sa génération et le régime de Mubarak a été le jour où Khaled Saïd a été battu à mort par la police égyptienne, le 6 juin 2010. Saïd était tranquillement assis dans un cybercafé d’Alexandrie lorsque deux inspecteurs du poste de police de Sidi Gaber, situé à proximité, sont entrés dans la pièce. Plusieurs témoins, dont le propriétaire du café, Hassan Mosbah, ont déclaré que les agents de police n’ont même pas tenté de l’arrêter. Ils l’ont battu sur place, cogné contre les tables de marbre. Comme le propriétaire s’est plaint, ils ont quitté les lieux en traînant Saïd avec eux, pour ensuite poursuivre leur assaut dans le bâtiment adjacent. Saïd a été brutalement frappé, sa tête cognée contre une porte en fer, ses membres, sans défense, ont été brisés sur les marches d’un escalier. Les agents l’ont ensuite emmené avec eux — ignorant probablement qu’il était déjà mort — au poste de police.
Il apparaît que le « printemps arabe » en Occident est comme un tag à la mode, pratique pour envelopper dans un même ensemble des événements disparates qui ont eu lieu au Moyen-Orient et qui sont essentiellement des mobilisations massives
Par la suite ils ont produit une déclaration médicale, affirmant que Saïd était mort après avoir avalé un sac en plastique qu’il cherchait à cacher, dans lequel il y aurait eu du haschisch. Aucune mention n’a été faite des commotions cérébrales, du crâne déformé, des membres cassés, des dents manquantes. Quand la famille de Saïd a été convoquée pour identifier son cadavre à la morgue, le frère de Saïd l’a pris en photo avec son téléphone portable. Plus tard, en juin, la famille a diffusé une photo nette sur internet. L’ONG Human Rights Watch l’a accompagnée d’un rapport décrivant l’état du cadavre et soulignant les incohérences évidentes du diagnostic médical. Cet acte a généré un tollé dans l’opinion publique. Une page internet pour expliquer les événements qui ont conduit à son assassinat — le mémorial We are all Khaled Saïd — a été créée pour Saïd. Elle a attiré des centaines de milliers de followers, devenant l’un des sites dissidents les plus importants de l’époque. Le 25 juin 2010, Mohamed ElBaradei — ancien chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique — a pris la tête d’un rassemblement à Alexandrie contre les exactions policières et a rendu visite à la famille de Saïd. Des manifestations ont également éclaté sur la place Tahrir du Caire et dans les ambassades égyptiennes à l’étranger. Trente manifestants de la place Tahrir ont été arrêtés. C’était une mise à l’épreuve de l’appareil d’État et comme d’habitude, elle a été suivie d’une répression disproportionnée. Le tumulte a été maîtrisé momentanément, mais les germes de la colère avaient été semées. Pour Kashef, tout cela avait une signification très personnelle. D’abord parce que les événements se déroulaient dans sa ville, mais aussi parce que Saïd avait été un voisin et un ami proche.
Kashef était très au fait de l’agitation sociale, peut-être même qu’il soupçonnait les incidents à venir. Mais il ne s’attendait pas à la vitesse ni à l’ampleur que tout cela prendrait. Même pour lui et ses collègues, ça a été une surprise. Le 17 décembre de cette année-là, un autre événement majeur a eu lieu dans un autre pays d’Afrique du Nord : la Tunisie. Mohamed Bouazizi, un vendeur de rue, s’est immolé par le feu à la suite de la confiscation de sa charrette de fruits et du harcèlement et de l’humiliation qu’une fonctionnaire municipale et ses assistants lui avaient infligés, dans la petite ville de Sidi Bouzid. Pourtant, l’acte de Bouazizi, bien qu’impressionnant, ne fut pas aussi scandaleux que la réponse du gouvernement. Brûlé à 90 %, plongé dans un coma, il a été transféré dans deux hôpitaux avant d’arriver dans un troisième, situé dans la capitale : le Centre de traumatologie et des grands brûlés de Ben Arous. Pour montrer son « respect » et apaiser la population, le président de l’époque, Zine El Abidine Ben Ali, a rendu visite quelques jours plus tard à Bouazizi— alors, totalement inconscient et couvert de bandages de la tête aux pieds — et a promis que son gouvernement interviendrait. Une photo de propagande de cette visite officielle a inondé les médias contrôlés par le gouvernement. Mais Bouazizi est mort le 4 janvier 2011. Le gouvernement de Ben Ali était alors considéré non seulement comme corrompu et arrogant, mais aussi comme impuissant et complètement hors de propos. La colère a commencé à gagner les rues. Afin d’éviter qu’elle se répande davantage, le gouvernement a dissous le grand cortège funèbre de Bouazizi à Sidi Bouzid, le lieu de naissance de Bouazizi. Mais les vidéos de ce cortège sont devenues virales, enflammant le mécontentement dans le pays. La marée est devenue irrésistible. Ben Ali a été contraint de quitter ses fonctions le 14 janvier, après vingt-trois ans accroché au pouvoir.
Peu de temps après, les actions d’auto-immolation se sont étendues à l’Égypte. Le 17 janvier, Abdou Abdel Hameed, propriétaire d’un restaurant, s’est mis le feu dans le centre du Caire, après s’être vu refuser des coupons de pain. Le même jour, Mohammed Farouq Mohammed s’est immolé par le feu devant le parlement, pour une question familiale apparemment sans rapport avec l’événement. Ahmed Hachem Sayed quant à lui, est mort à Alexandrie, après s’être mis en feu en protestation contre la situation liée au chômage. Le climat social était à l’indignation et au conflit ; la situation politique au bord du gouffre. Une « Journée nationale de la Révolte » a été demandée et fixée à la date du 25 janvier. Personne ne pouvait en prévoir l’issue bien sûr, mais dès le début, des dizaines de milliers de personnes sont allées sur la place centrale de Tahrir. Les manifestants sont restés là. Dix-huit jours durant, il ont encaissé la répression, affronté des hordes pro-Mubarak, un couvre-feu qui ne pouvait pas être appliqué, des raids militaires, ont été les témoins d’une escalade de la violence contre les journalistes et les équipes de médias et de toutes sortes de tactiques belliqueuses. Néanmoins, la police a très vite été démobilisée et les militaires auraient refusé d’appliquer les ordres de tirer à balles réelles sur la foule dans les places ouvertes, faisant preuve d’une certaine modération. Mubarak a alors proposé à la multitude enragée de faire des concessions : il n’envisagerait pas d’être réélu. Toutefois, le peuple avait beaucoup trop souffert pour maintenant négocier les miettes. Human Rights Watch a fait état de 300 morts après deux semaines : la police secrète avait ciblé des individus sans ménagement. Il n’y avait donc aucun signe d’apaisement. À la fin de cette période, le 11 février, Hosni Mubarak a finalement démissionné, après presque 30 ans de mandat présidentiel.
Kashef était arrivé au Caire le 7 février, alors même que des centaines de milliers de personnes affluaient vers la capitale, s’attendant sans doute à un affrontement final. Il avait organisé une partie de la tactique des manifestants à Alexandrie et il apportait son savoir-faire récemment acquis à l’épicentre. Pas un simple témoin, il était un agent actif qui a vu là l’opportunité d’un soulèvement démocratique qui pouvait s’opposer à des années de dictature et de corruption. De plus, les actions des manifestants se développaient à différents endroits à la fois, même si la place Tahrir est devenue le point nodal de la révolution en cours. Et afin de relier les récits, de nombreux manifestants sont devenus des journalistes citoyens qui utilisent leurs réseaux sociaux pour diffuser l’information. Du contenu téléchargé sur des blogs et sur YouTube se retrouvait ainsi publié sur Facebook et Twitter. J’ai voulu parcourir en nombre, ces documents avec Kashef, afin qu’on saisisse ensemble quelle était l’empreinte visuelle laissée par les événements. De nombreuses vidéos d’amateurs et d’équipes médiatiques spontanées avaient été rassemblées dans différentes archives. L’une d’entre elles est le 858.ma, qui abrite plus de 1 600 fichiers vidéo de la période. Mais pour les étrangers, les différentes pièces commencent très vite à se ressembler, diffusant avec redondance un contenu visuel limité par les moyens techniques de l’époque. Mon but était de déchiffrer les schémas avec lui, de mettre en valeur les exploits les plus mémorables, de naviguer sur une mer d’images en utilisant la boussole de sa mémoire comme guide. Il a accepté, et nous avons organisé une rencontre afin de passer en revue les documents. Néanmoins, quand on a commencé, tout de suite ses commentaires on dépassé la simple description. Pour une quelconque raison, on a tous les deux remarqué la dissonance. On a alors essayé de se concentrer sur des événements isolés, en suivant l’organisation des archives. Mais il s’est rendu compte que beaucoup de chose manquait, que ce qu’il savait des actions qui s’étaient déroulées dans certains endroits n’était pas représenté dans la collection : tout était centralisé, prenant la place Tahrir comme seule scène de ce qui était pour lui un fil rhizomatique, pareil à des ruisseaux qui s’écoulent vers une rivière dense, et sans lesquels la rivière serait stérile et sèche. Cela, bien sûr, ne disqualifie pas la noble intention des archives — de préserver une histoire visuelle léguée par les citoyens — mais cela montre les limites de la représentation, pour ceux qui étaient présents et engagés sur les lieux.
Il s’agissait vraiment d’une tentative des peuples de sentir ce qu’ils étaient capable d’accomplir, une tentative dans laquelle ils ont mis à l’épreuve du terrain des tactiques de communication et des stratégies politiques
Kashef lui-même a découvert une meilleure façon de procéder à la visualisation des événements, un moyen qui lui permettrait également de se souvenir d’une autre manière. Il avait lui aussi enregistré plusieurs vidéos qui ne figuraient pas dans les archives de 858, mais qui sont venues compléter nombre de leurs pièces rassemblées. Avec une seule différence : dans toutes ses vidéos, le spectateur se trouve au centre de la scène, atteignant un point de vue privilégié autour duquel tout tournoie, comme si le mouvement était orchestré. Nous avons vu ensemble comment se sont passés les événements sur place, notamment dans une vidéo qu’il a prise à Alexandrie, au début du soulèvement. De ce point de vue, on se situe au-dessus de la foule. Il utilisait probablement un support à plantes ou une installation similaire dans la rue pour filmer. On peut alors palper les rues bondées derrière, les entendre crier. Des dizaines de milliers de personnes marchent vers un lieu où quelque chose était en train de se passer : deux jeunes hommes arrachent la photo de Mubarak d’un cadre en acier, placé devant le siège du parti National Démocratique d’Alexandrie, à quelques pas de l’un des postes de police les plus impitoyables de la ville. Il apparaît que la vidéo commande l’action. Un des manifestants regarde la caméra, comme s’il cherchait à obtenir son approbation, puis déchire un autre morceau de l’affreux portrait. Et les foules derrière « nous » crient, comme si elles étaient en synchronie, levant le poing à chaque fois qu’un fragment de photo est enlevé. Ce n’est qu’alors que j’ai compris la profonde influence que Kashef exerçait sur l’organisation de tout l’ensemble. Le son était assourdissant et débordait presque sur notre propre conversation. Nous avons donc été obligés de le couper, laissant l’image tourner en boucle à l’arrière-plan.
Nous avons continué à parler des conséquences du soulèvement avec, derrière nous, la vidéo qui passait en boucle, encore et encore. Il a rappelé la tentative de distraction du gouvernement qui est passée par le vote d’une nouvelle constitution — « juste avant » ou « juste après » de nouvelles élections. La vidéo a continué à répéter sa chorégraphie de poings levés, de quelques drapeaux, de nombreux doigts formant des « V ». Il se souvient de l’incertitude des jours qui ont suivi, pourtant joyeux et optimistes. Le jeune homme démolit une nouvelle fois le portrait de Mubarak. Kashef a exprimé sa déception au sujet d’el-Baradei, qui avait abandonné le leadership de l’opposition et laissé la porte ouverte à une prise du pouvoir par les Frères musulmans. La foule se rassemble devant le portrait. Les Frères musulmans au pouvoir par l’intermédiaire de Mohamed Morsi : inefficace et arrogant, mais légal et légitime. Les foules marchent en avant, par milliers. Un nouveau coup d’État militaire en 2013 met fin au gouvernement de Morsi : près de 1 000 personnes sont assassinées le 14 août de cette année-là — l’un des massacres les plus cruels de l’histoire mondiale contemporaine. Un autre morceau du portrait est déchiqueté. L’administration Obama a refusé de qualifier l’événement de coup d’État : l’Égypte est le deuxième plus grand bénéficiaire de l’aide militaire américaine, après Israël. Le visage de Mubarak est coupé en deux. Nouvelles « élections » : l’ancien ministre de la défense Abdel Fattah al-Sisi devient le sixième président de l’Égypte. Les poings en l’air, tous en même temps, une synchronicité saisissante. Les Frères musulmans étaient-ils vraiment une menace ? S’ils étaient effectivement des extrémistes, pourquoi auraient-ils essayé de s’en tenir aux procédures démocratiques ? Le jeune homme regarde la caméra, comme s’il était lui-même hypnotisé. Un nouveau gouvernement militarisé était maintenant au pouvoir.
Puis nous avons interrompu la vidéo pour de bon. Mais comme nous l’avions regardée en silence, et à plusieurs reprises, en toile de fond des paroles de Kashef, c’était comme si elle avait distillé une sorte de tranquillité, et ses déclarations avaient acquis une forme de gravité, une assise indéniable.
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Entretemps, notre discussion poursuivait son cours. La souche révolutionnaire s’est répandue en Syrie, où elle ne s’est pas révélée aussi efficace contre le régime de Bachar al-Assad. En 2013, une guerre par procuration à grande échelle ravageait le pays, une situation qui se compliquait du fait de la proximité de la Syrie avec l’Irak. C’est par cette frontière que les restes de l’armée démantelée de Saddam Hussein commençaient à former une nouvelle milice extrémiste : Daesh. Des milliers de Syriens fuyaient la nation, et Kashef — alors devenu avocat — était impliqué dans l’aide aux réfugiés et s’intéressaient aux cas d’asile politique. Il s’est également engagé dans la rédaction de reportages, de déclarations et d’articles politiques critiques à l’égard du gouvernement d’al-Sisi, tout en sachant que c’était une affaire risquée. Afin de pouvoir mener à bien ses activités, il a jonglé avec trois identités très différentes : celle d’un avocat, d’un rappeur et d’un chercheur — sous cette dernière, il se présentait sous son alias actuel : Muhammad al-Kashef.
Mais la pression du régime s’intensifiait. Kashef s’est rendu à une conférence sur les droits de l’homme en Sicile, là où la prochaine étape de la contre-révolution l’a frappé. Le gouvernement égyptien a compris que ses trois personnalités étaient celles d’un seul homme, et un insider lui a fait comprendre qu’à son retour, il serait arrêté. C’était déjà le milieu d’année 2017. Kashef savait que la menace était plausible. Pour confirmer ses soupçons croissants : Khaled Ali, un ancien candidat à la présidence de l’Égypte, en Italie à ce moment-là, et connu pour son plaidoyer en faveur de la réforme du gouvernement et son activisme contre la corruption généralisée du régime, a été fait prisonnier alors que son avion atterrissait au Caire. Kashef a décidé de rester à l’étranger. Il devait maintenant lui-même suivre le protocole qu’il avait eu l’habitude de prescrire aux autres, afin de tenter de suivre un plan structuré et de garder la tête froide. Il a quitté l’Italie pour Tiflis en Géorgie, un des rares endroits où il pouvait demander un visa électronique. Il pouvait par la suite contacter son réseau de soutien pour les prochaines étapes. Il a finalement obtenu un visa Schengen de courte durée qui lui a permis de voyager à travers l’Europe Centrale et par la suite, il a pu le transformer en un permis plus long. Alors qu’il traversait ces épreuves, des évidences qu’il était dans la ligne de mire de la police du Caire lui ont été transmises en abondance.
Kashef a finalement été admis en Allemagne et travaille maintenant en tant que consultant indépendant et chercheur. Quand je lui ai proposé une rencontre pour discuter, je lui ai demandé son opinion sur le Printemps arabe. « Ce n’était pas un printemps — il m’a coupé court — cela n’avait rien à voir avec l’image d’un événement saisonnier. C’était une révolution, un soulèvement. Mais la révolution ne s’est pas terminée à ce moment-là. C’est un événement en cours. Nous avons juste ajouté une pierre à l’édifice pour les générations à venir. Cela m’a coûté cher, je n’ai pas le droit de retourner dans mon pays, et la vie en exil est dure. Mais je ne regrette rien. Je revivrais tout cela s’il le fallait. Ce sera notre seul héritage pour la prochaine génération et on verra ce qu’ils peuvent en faire. Nous sommes tous encore en train d’avaler tout ce qui s’est passé. » J’ai compris, grâce à la clarté de son témoignage, que ce que nous avons vu, lors des soulèvements il y a une décennie, était la médiatisation d’un événement, dont certains pensaient qu’il avait été provoqué par les réseaux tech. Il apparaît que le « printemps arabe » en Occident est comme un tag à la mode, pratique pour envelopper dans un même ensemble des événements disparates qui ont eu lieu au Moyen-Orient et qui sont essentiellement des mobilisations massives. Il s’agissait vraiment d’une tentative des peuples de sentir ce qu’ils étaient capable d’accomplir, une tentative dans laquelle ils ont mis à l’épreuve du terrain des tactiques de communication et des stratégies politiques et à l’issue de laquelle une poignée de régimes soutenus par l’Occident ont effectivement été confrontés. C’était chaotique à bien des égards, mais le chaos en lui-même porte une force particulière, qui doit être comprise, façonnée et transformée en une source de tentatives futures. Finalement, les soulèvements sont probablement devenus une véritable source (« spring »), mais non dans le sens d’une saison de l’année, plutôt comme l’endroit duquel naît un fleuve, le courant d’apparence insignifiant qui jaillit du sol, une origine, peut-être l’origine d’un nouveau temps à venir.
Merci beaucoup à Kashef et Sanaz.
© photo : J. Rashad