Le timing pouvait difficilement être plus opportun : à l’heure où le glas de notre liberté de circulation sonne, me voici à l’orée d’une résidence d’artiste planifiée de longue date. Dans ce grand domaine surplombant la Méditerranée de tous les côtés, mi-ville mi-campagne, le confinement a des allures de paradis. Un paradis où viennent nous caresser les vents de Provence que nous ne pouvons aller taquiner. Quand ai-je joui pour la dernière fois d’un espace aussi vaste que je peux considérer mien, même furtivement ?
La résidence est une feuille blanche sur laquelle nous sommes libres d’écrire les personnages que nous ne cessons de devenir. Une toile vierge pour esquisser les relations que nous souhaitons développer les uns avec les autres. La course au rendement s’est arrêtée sur le seuil de la Fondation : ni obligation de fournir la preuve d’un quelconque travail à l’issue de ces onze semaines de retraite, ni pression pour optimiser socialement notre présence en ces lieux. Certains se retirent dans une discrète solitude, d’autres se laissent porter par la dynamique de groupe, exprimant bruyamment leur appréciation ou restant muets…sans en penser moins. Nous sommes libres d’être les mulots mutiques, le caïd des basses-cours, les fidèles toutous ou les fourmis affairées sans souffrir d’un quelconque jugement. Ce manque de jugement n’est pas la face affable d’une indifférence polie, au contraire : tacitement, nous nous autorisons, individuellement et collectivement, cette pause. Peut-être est-ce ainsi que fonctionnent les résidences. Que sais-je, il s’agit d’une première et pour la première fois je me sens en phase avec ce groupe de fortune, moi qui peine si souvent à trouver ma place lorsqu’il s’agit de ne pas mener ou de ne pas jouer les observateurs distants. Pas de casting pour une fois : aucun rôle n’est attribué en dehors de ceux que nous souhaitons endosser là, à ce moment.
Au fil des années, j’ai réalisé qu’une telle configuration est ce qui me convient le mieux. Etre indépendante, être seule, tout en faisant partie d’une communauté. Un mélange à parts égales de sociabilité choisie et de solitude -la bonne, celle qui nourrit. L’harmonie d’une solitude solidaire : la solitude ?
Pour les angoissés, la catastrophe a le goût du pain béni. C’est l’attente, l’incertitude de la situation qui me rendait anxieuse. Passé les cahots du décollage, nous avons atteint une vitesse de croisière une fois le confinement annoncé. Ici, à l’ombre de ces murs aux allures d’heureux réclusoir niché au creux d’une ville balnéaire endormie, peu de choses peuvent nous arriver. Je dois avouer quelque chose : j’accumule, sans cesse, remplissant mes valises à ras-bords et faisant des courses pour un siège par peur de manquer, d’être prise au dépourvu par une catastrophe imminente. D’une certaine manière, la réalisation de certaines peurs profondément ancrées m’apaise : enfin, nous y sommes. Nous avons touché le fond, et ne pouvons désormais que remonter. Rassurant sentiment que d’être arrivée là en entier. Et soulagement d’assister enfin au déraillement si longtemps anticipé de nos vies bien huilées. Au revoir anxiété, tu me vois délivrée de tes crochets.
Ce n’est pas tout : je suis depuis longtemps en quarantaine de ceux que j’aime. Toujours ailleurs, toujours en mouvement. Jamais là quand il le faut. Là quand il ne faudrait pas
Beaucoup font pourtant aujourd’hui le deuil de leurs certitudes, pétris d’angoisse face à l’avenir. Pour moi, ce sont les certitudes qui sont illusoires. Nietzsche parle du poids de la certitude, et non de l’incertitude. La plupart du temps nous gagnons face au destin et nos projets deviennent réalité. L’avenir devient passé. Les ambitions se transforment en réalisations. Aujourd’hui pourtant le masque des certitudes est tombé. Nos vies ont été mises à nu, bienvenue dans le monde de la survie — aussi sûr et luxueux que celui-ci puisse paraître vu de Cassis. Malgré tout, c’est ainsi que je me sens le plus à l’aise. Les choses sont claires. Les faux-semblants ont foutu le camp.
Ce n’est pas tout : je suis depuis longtemps en quarantaine de ceux que j’aime. Toujours ailleurs, toujours en mouvement. Jamais là quand il le faut. Là quand il ne faudrait pas. Je traverse villes et villages comme un fantôme, enfilant bien serrés rencards et rendez-vous pour faire fi de chaque minute et profiter au maximum de chaque visite. Travail, travail, travail entremêlé d’amitié comme cela est souvent le cas dans les industries créatives. Un quotidien voué tout entier à une passion-profession. Le train, l’avion, le bus. Des heures noyées dans les kilomètres et les paysages qui défilent, entourée d’autres voyageurs mais seule, éloigné d’eux comme ils le sont les uns des autres. Dans le miroir du confinement j’ai plongé, et ai trouvé une autre facette de l’isolement déclenché par son propre virus : l’hypermobilité.
L’hypermobilité, malédiction ou bénédiction de ces deux dernières années, voire plus. Un mode de vie choisi qui ne laisse d’autre choix que l’isolement et le décalage permanents. Quelle période : pas plus de quatre nuits d’affilée au même endroit. Perpétuellement sur le qui-vive, plus chasseuse que fugitive. Un tourbillon à tous égards, la réinvention continue de soi, une poignée de coeurs brisés (le mien, d’autres). S’instituer en repère unique de son existence, avec l’égoïsme que cela signifie. L’habitude de trouver refuge dans mon propre univers, brouillant perpétuellement les frontières entre rêve et réalité, entre empire intérieur et galaxie intérieure. Un écho lointain d’une adolescence où, la structure familiale brisée, j’ai changé d’établissements et de foyer à chaque rentrée. Douze maisons et presque autant d’écoles avant d’atteindre la majorité. Une décennie et demi à attendre sans y penser cette résidence comme une bouée de sauvetage, quelque chose sur laquelle me reposer pour arrêter momentanément de pagayer. Une résidence comme une pause nécessaire qui a fait émerger ses propres craintes : à quel prix peut-on se couper du monde pendant que celui-ci continue à tourner ? Combien faudrait-il à nouveau travailler d’arrache-pied pour se glisser à nouveau dans la course ?
Mais le confinement est arrivé. Et tout le monde s’est retrouvé à danser sur le même tempo.
Contrairement à la plupart des gens je n’ai que peu d’interactions physiques au quotidien avec ceux que j’aime ou avec qui je travaille. La plupart de mes relations, quelle que soit leur nature, se déroulent à une distance bien plus élevée que les deux mètres de sécurité désormais requis. Appels vidéo, mémos vocaux, textes, mèmes et photos. L’occasionnel colis envoyé par la poste et la lettre manuscrite précieusement conservée, comme d’autant substituts imparfaits au toucher et au sourire.
La vie derrière les écrans est faite pour ceux que je connais de petits moments de réels qui apportent la sociabilité nécessaire et nourrissent l’âme. A leurs yeux je suis trop souvent celle que l’on n’ose pas appeler, ne sachant dans quels fuseau horaire et ville je me trouve. Présumée éternellement occupée. Prétendument affairée à des choses importantes, excitantes, grandiloquentes.
Maintenant que tout le monde est retranché la distance est soudainement devenue la langue de l’amour. Je n’ai jamais été autant en contact avec mes amis et ma famille, partageant de longues conversations téléphoniques deux, trois fois par jour, si ce n’est plus. Non qu’ils réalisent mon existence. Mais parce que nous parlons désormais le même langage.
P…… A l’heure des déclarations solennelles télévisées mon esprit s’est envolé deux semaines en convalescence. Tout comme la nécessaire récupération physique après une blessure ou une maladie grave signifie que les tâches les plus simples prennent parfois des heures à accomplir, j’ai l’impression que ma productivité est en chute libre, prise dans un trou d’air, réduite à n’être plus que l’ombre d’elle-même. Alors que l’épidémie est sur le point d’atteindre son pic, ma productivité suit la trajectoire opposée. Comme une contre-réaction nécessaire ? Ou le respect tacite de la gravité de ce qui se déroule en dehors de la rassurante bulle dans laquelle je flotte ?
L’annonce de la prolongation n’a suscité qu’un soulagement de ma part : en toute honnêteté, je me sens protégée ainsi confinée
J’accuse le contrecoup de l’énergie déployée à s’adapter au plus vite à cette nouvelle situation, ainsi que de quelque chose de plus profond, une fatigue mentale que je ne peux plus ignorer. Mon cerveau mérite cette pause : il se réapproprie l’espace et le temps qui lui ont été refusés pendant si longtemps. Remettre les pendules à l’heure. Vivre pleinement cette sérieuse décélération. Immobile, un toit fixe sur la tête et les placards pleins à craquer de provisions, mon cerveau peut prendre sa revanche et imposer des vacances bien méritées. Il sait que je peux me débrouiller sans lui. Que lorsqu’il daignera revenir, je serai là. Captive d’une pandémie mondiale.
Pas d’incitation à anticiper la reprise du quotidien et des projets laissés à l’abandon sur le bas-côté. Il n’y aura pas de retour à la normale, le spectacle ne reprendra pas comme avant, enfin pas tout de suite. La perturbation aura été trop longue, trop forte pour cela. Le contenu et le calendrier de chaque envie seront réétudiés. De nouvelles idées verront le jour, des projets pré-existantes prendront le chemin des abandonnés. Impossible de se contenter de reporter nos ambitions de quelques mois, voire une année. Il s’agit de tout réévaluer collectivement, conservant ce qui compte vraiment maintenant. Et ce qui comptera plus tard.
Nous verrons l’aube avec un regard nouveau. Au moins pour un certain temps.
*
Je n’ai pas jeté un coup d’oeil à mon agenda, mon compagnon le plus constant, depuis des jours maintenant. En temps normal je carbure à la micro-organisation. Certains segments du calendrier sont programmés à l’heure près, une couleur par type de voyage, chaque réunion ou échéance soigneusement documentée. Combien d’heures passées à peaufiner l’agencement des déplacements et activités, à anticiper et planifier encore et toujours afin que, lorsque l’imprévu pointe le bout de son nez -ce qui est invariablement le cas- et que les certitudes s’envolent mon calendrier fonctionne comme un échafaudage qui empêche le tout de s’écrouler. Comme un phare dans la tempête qui guide mon embarcation. Je réalise que s’il m’est arrivé de me focaliser sur des détails d’organisation pour fuir les tensions de la vie quotidienne tout cela ne comblait aucun vide : au fond, je me fiche de ces certitudes. Elles ne sont que les garde-fous qui me protègent de moi-même et d’une énergie explosive trop facilement dispersée. Un tuteur qui guiderait une plante à la tendance à faire l’école buissonnière hors des prés-carrés. L’outil de discipline essentiel des travailleurs indépendants. La boussole du marin en mer. Une présence réconfortante enfin, la preuve que les jours passés en un clin d’oeil ont véritablement existé.
Echoué sur une île alors que la brume obscurcit nos horizons, mon agenda repose désormais dans son coin, content d’être ainsi délaissé. Les innombrables listes de choses à faire enchevêtrées les unes aux autres comme les contes des 10001 nuits l’ont rejoint dans sa retraite. Elles non plus n’ont plus d’utilité. Au fur et à mesure que le brouillard tombait la pression s’en est allée. Quel soulagement de ne plus avoir à se battre et à courir sans arrêt. Deux tourments auto-imposés évidemment, alimentés par la peur du manque. Et de ne pas avoir vécu ma vie aussi intensément que possible.
Comment conserver cet état d’esprit une fois tout cela terminé ?
*
Les animaux sont partis : nous voilà barricadés dans des forteresses construites pour nous protéger de la nature que nous avons détruite. Pour une fois, nous prenons sur nous, baissons la tête et laissons la Terre respirer. La voici qui prend soudain une grande bouffée d’air, celle que l’on va chercher quand on retire une robe moulante, une cravate ou un soutien-gorge trop serré. Beaucoup d’entre vous connaissent ce sentiment.
Les hommes enfermés -enfin, ceux qui en ont eu le luxe-, les animaux ont déambulé dans les rues, explorant une planète que nous leur avions dérobée. Leur quarantaine trop longtemps imposée a pris fin : nos rôles ont été échangés.
Désormais terrés dans nos propres tanières nous regardons les animaux sortir et reprendre possession d’un espace en théorie partagé. Plus de risque d’être abattus, écrasés par une voiture, dérangés pendant la période de reproduction ou de nidification par les passants et les amateurs de plein air. Par les marteaux piqueurs. Par les hameçons. Par les balles.
Pour une fois, nous voici parqués dans des réserves. J’aimerais que biches, renards et lapins viennent tirer la langue devant nos fenêtres. J’accueillerais cette manifestation de dédain avec joie, pour le simple plaisir de les voir saisir à pleines pattes une liberté dont nous sommes actuellement privés. Mais ils sont tellement occupés à profiter de notre absence que pour une fois, nous sommes le cadet de leurs soucis.
Etre confinée, c’est réapprendre aussi à écouter. D’abord le chant des oiseaux maintenant que le ronflement des moteurs s’est estompé. La clameur du dehors n’est plus un sujet de préoccupation ou de plainte. Elle est devenue quelque chose à laquelle nous prêtons attention, en essayant de la déchiffrer comme la partition d’une symphonie. Le bruit devient inhabituel, donc précieux. Il impose le respect, demande à être reconnu et non plus ignoré. Célébré et non critiqué. L’immobilité contrainte nous force à être plus attentifs au présent et à l’ici. Je n’ai jamais été portée sur la méditation. Mais tout cela n’est-il pas une immense séance imposée ?
*
J’ai remarqué vers la cinquième semaine un spectacle inhabituel : des valises endormies prenaient la poussière sous le lit. Elles aussi sont en congés avec nulle part où aller. Pendant une fraction de seconde j’ai peiné à me souvenir ce qui a constitué un élément d’une bande-son désormais obsolète : le vrombissement des roues sur le trottoir, le bruissement de la fermeture éclair. Ou était-ce un doux crissement ? Les moutons de poussière forment un matelas dont l’épaisseur croissante devient l’étalon-or du luxe que représente cette immobilité.
Parlons argent, si vous me le permettez. Ce dernier a fait surface aux premiers jours du confinement : j’ai d’abord pensé que dans une pareille situation achats en ligne et autres frénésies consommatrices s’imposeraient comme un moyen d’échapper au quotidien ou de l’agrémenter. L’argent me semble pourtant désormais d’autant plus précieux que je ne peux le dépenser aussi facilement que d’habitude. A moins qu’il ne s’agisse d’anticiper, encore, les temps difficiles à venir, lorsque tout cela sera terminé. Lorsque, résidence et quarantaine pliées, les dépenses augmenteront de nouveau tandis que le ralentissement économique commencera à se faire sentir.
A moins que, dans l’urgence de la situation, ce qui importe apparaît plus clairement. Au fond luit la certitude que toute consommation n’ajoutera guère à ce qui est déjà là. Peut-être parce ce que je possède me suffit. Que ce qui nourrit l’âme est gratuit, ici, devant moi. Ou à l’intérieur. Et que ce qui est véritablement en jeu ne s’achète pas avec une carte de crédit. Ce qui restera sur mon compte bancaire contribuera à reconstruire notre monde. Pour de plus grands rêves. Ce que nous pouvons faire lorsque nous pourrons à nouveau sortir. Et courir.
Voyons les choses en face : la maladie nous inquiète, nous craignons de perdre des êtres chers, serrons la mâchoire face aux inégalités mises à nu par l’épidémie. Mais cette résidence fait de nous des privilégiés. A l’abri dans notre petit domaine, formant une communauté de circonstances prévue de longue date, la perturbation du quotidien réduite à son strict minimum au regard des circonstances.
La fin de la quarantaine a sonné le glas : à milles bulles d’ici Idir, chanteur de mon enfance, s’en est définitivement allé, mettant à nu mon refuge et me ramenant soudain à la réalité
Par certains aspects le confinement amplifie la résidence. C’est un relâchement nouveau et bienvenu de l’espace et du temps couplé au luxe de se sentir ancrée ici, sans rêver pour une fois à d’autres horizons. J’ai arrêté de lire le journal, et quand je le fais ce n’est non pour me rassurer mais pour me tenir informer. Parce que j’oublie parfois pourquoi nous sommes assignés. Une amnésie partielle comme une histoire d’amour dévastatrice sur le point d’être enfin digérée.
Le confinement m’apporte un repos bienvenu après le chaos des derniers mois.
Comment définir ce dernier ? « Repos » a autant de sens que de langues pour le prononcer. A mes yeux il est une incitation à ne pas penser. Ni au travail. Ni à l’amour. Ni à la vie. Il est une bulle vide. Une terre en apparence stérile sur laquelle ne pousse que ce qui daigne pousser, sans contrainte aucune. Ma vision du travail a changé. J’ai cessé de désirer ce que je n’avais encore obtenu. Parfois, courir à perdre haleine derrière nos idéaux nous fait oublier ce que nous avons déjà et nous isole de ceux que nous aimons. L’enfermement a mis un couvercle temporaire sur mes rêves et ambitions. Et cela, pour moi, est le repos.
Coeur, corps et esprit ne sont plus éparpillés, le bétail est de retour au bercail. Me voilà enfin arrivée. Enfin ancrée. Un ancrage sous forme d’un ancien hôtel de station balnéaire, situation cocasse s’il en est. Combien de fois ai-je imaginé cette résidence ? Combien de scénarios ai-je esquissé dans mon esprit à son sujet ? Une résidence qui a initialement pris les atours d’un pari sur l’avenir. Puis ceux d’une promesse de temps heureux. Avant de représenter l’occasion de ramasser des morceaux cassés et de les recoller. Puis l’énième carte à jouer d’une main déjà chargée de week-ends improvisés et d’aller-retours pour enseigner.
Mais rien de tout cela n’est arrivé.
Le calme et la solitude si longtemps désirés m’ont été servis sur un plateau. Heureuse naufragée échouée sur une presqu’île pour réfléchir au passé et envisager un avenir dont j’ignore tout. Se préparer à rien en quelque chose. Anticiper le futur sans carte ni destination. Si habituée à draguer lourdement la vie jusqu’à ce qu’elle se plie à tous mes rêves et désirs, me voilà forcée à regarder dans le miroir et scruter, au fond de moi, ce que je veux vraiment. Et ce que je suis.
Il est là, le repos.
Lorsque les projections économiques manquent de se réaliser en dépit de leur rassurante certitude, d’innombrables grilles de lecture alternatives surgissent. En levant les yeux vers les étoiles du printemps, les astrologues y ont lu une période de ralentissement. De tous les signes du Zodiac, les natifs de mars n’aimons rien d’autre que de se réfugier dans les eaux fécondes de notre imagination. Est-ce une coïncidence si tout cela a débuté sous le signe des Poissons ?
Voilà comment je ressens les choses : le monde extérieur s’efface, me permettant de me retirer complètement dans le mien. L’enfermement ne pouvait arriver à un moment plus opportun. Comme si la conscience du monde s’alignait avec les soubresauts de mon âme. Une envie maintes fois reportée de déposer les armes et d’embrasser le calme que j’associe habituellement au vide, et par conséquent à la mort. Par le mouvement qu’il créé l’état de déséquilibre est la condition même de la vie, des cellules au soleil, de la mer aux esprits. Confiné, l’univers entier semble désormais danser sur cette mélodie aquatique, flottant dans une bulle libérée des contraintes du temps, dans ses variations à court et moyen terme.
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A l’aube de la troisième semaine, les appels téléphoniques se sont taris comme la source dans l’été sec. Les plis se prennent, de nouvelles habitudes se forment et chacun se renferme un peu sur soi-même pour digérer le bouleversement. La réaction naturelle à l’explosion sociale nécessaire et rassurante -fut-elle virtuelle- de la première quinzaine de confinement.
L’annonce de la prolongation n’a suscité qu’un soulagement de ma part : en toute honnêteté, je me sens protégée ainsi confinée. Au crépuscule du premier mois cependant une énergie nouvelle a pris place, comme la sève des jeunes pousses qui monte vers le soleil. Un besoin impérieux de bondir, de saisir le monde et de faire bon usage de cette expérience inhabituelle.
La fin de la quarantaine a sonné le glas : à milles bulles d’ici Idir, chanteur de mon enfance, s’en est définitivement allé, mettant à nu mon refuge et me ramenant soudain à la réalité. Son oeuvre a contribué à cette résidence à travers un projet momentanément avorté sur les archives de la musique kabyle. Alors que nous rouvrons doucement nos volets sur le monde son absence prend la forme d’un rendez-vous manqué. D’un rappel nécessaire qu’au-delà des murs de ma retraite la vie comme la mort n’ont jamais cessé. Et qu’il s’agit maintenant de revenir dans la danse.